Une critique d’Extraction de la pierre de folie d’Alejandra Pizarnik (1968)
en forme de poème

Dessin d’Alejandra Pizarnik
un autre appelons-le Henri aurait dit :
« il y souffle un vent terrible » (1)
mais moi je dis :
« au-dedans le vent
tout verrouillé et au-dedans le vent »
le vent dedans et le miroir devant
et dans mes mains son sourire cassé
et dans mes mains la nuit que « je fais »
et dans mes mains
le vent et le miroir devant
il faut répéter jusqu’à trouver le silence qui dévoile
jusqu’à percer le miroir
percer la brume
le vent
« toute la nuit j’écoute l’appel de la mort, toute la nuit j’écoute le chant de la mort, près du fleuve toute la nuit j’écoute la voix de la mort qui m’appelle »
dans mes mains donc la nuit son appel
dans mes mains faire tourner l’objet faire tourner le mot
faire tourner et en tournant que tout devienne brume
donc poème donc misère
tourner autour comme le vent en-dedans
« nul n’écoutait le lieu parce que le lieu n’existait pas »
il fait nuit « ni dehors ni dedans »
et le lieu n’existe pas
« je vois croître jusqu’à mes yeux des figures de silence, désespérées. J’écoute des voix grises, denses, à l’ancien lieu du cœur »
ça s’appelle “Dans l’autre petit jour”, ça s’appelle “Défonce”, “Sortilèges”, “Comme de l’eau sur une pierre”, ça s’appelle pleins, c’est pour Olga Orozco, André Pierre de Mandriargues, Octavio Paz, Marie-jeanne Noirot,
c’est à « mais comment s’appelle le nom » ?
comment s’appelle le vent ?
comment s’appelle s’appeler la brume ?
« Fétus, poupées sans tête, je m’appelle, je m’appelle » mais comment « ne pas nommer les choses par leurs noms ? »
« c’est la musique, c’est la mort que j’ai voulu dire, en des nuits variées comme les couleurs de la forêt »
c’est là où les lilas pleurent là où la nuit fracture la fenêtre où le mur se fait fleuve
c’est la grève la peur
et le seul amant c’est le miroir qui se tait et qui me tait mais me tait « de musique »
un autre appelons-le Fernando aurait dit :
« la rive d’en face n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci » (2)
moi je dis :
« et c’est toujours le jardin aux lilas de l’autre côté du fleuve. Si l’âme demande s’il est loin on lui répondra : de l’autre côté du fleuve, pas celui-ci mais l’autre là-bas »
l’autre là-bas
l’autre j’ai voulu lui parler
alors
« guéris-moi du vide – ai-je dit »
mais j’aurais dû le dire une deuxième fois pour qu’il comprenne
alors
« guéris-moi – ai-je dit »
il faut toujours répéter toujours faire tourner
c’est le vol circulaire de l’oiseau dans le ciel
« comme lorsque s’ouvre une fleur et qu’elle révèle le cœur qu’elle n’a pas »
je ne pouvais plus faire tourner en petit
il fallait des plaques de mots
pour tourner circuler autour des choses
« je dois revenir à mes os en deuil »
alors
« Je parle comme ça parle en moi. Pas ma voix qui s’efforce de ressembler à une voix humaine mais l’autre qui témoigne que je n’ai pas cessé d’habiter dans les bois »
dans les bois dans les os
« À quelle heure le malheur a-t-il commencé ? »
j’ai toujours vécu dans l’ombre d’une matière véritable
dans l’interstice entre ce qui parle et ce qui passe
comme un corps charrié par un fleuve
une pétale de lilas
sur un corps charrié par un fleuve
comme ce qui passe
comme le fleuve le corps et le lilas
quelle est la différence entre « celle qui rêva [et] celle qui fut rêvée » ?
la première est sans doute « plus autre » que l’autre
tourner circuler et puis passer
« je veux voir le fond du fleuve, je veux voir si ça s’ouvre, si ça fait irruption et fleurit de ce côté-ci »
pour ça tourner encore de tous les côtés
je veux voir et je veux dire
mais « ce n’est pas moi qui parle : c’est le vent qui me fait m’agiter »
c’est le vent qui fait
tourner circuler puis passer
c’est le vent
“c’est toujours le vent” (3)
comme aurait-dit une autre appelons-la Camille
c’est le vent
et quand je me regarde
il y a du vent dans le miroir
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(1) Michaux, “Je suis né troué” dans Écuador
(2) Pessoa, quelque part dans Le Livre de l’intranquilité
(3) Moi, dans le poème qui suit, collé suite à cette critique :
