triptyque, libéra, n°5, 2021

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« J’ai commencé les collages parce que j’avais besoin de me recoller. 

Un matin, sans l’avoir vu venir, comme le monde, comme le lien, moi aussi, je me suis réveillée atomisée. En lambeaux, en loques et sur un radeau, incapable d’écrire – car pour ça, il faut un stylo – je me voyais m’éteindre. Sans stylo donc, mais non sans envie, j’ai attrapé des bouts – d’âme ou de mots – pour en faire des bouées pour flotter sur la vague de copeaux qui nous sert d’habitat. Je serai toujours un multiple de mille mais j’ai pu me faire croire que j’étais recollée – collage parmi les miens, au moins c’était sympa. 

Parfois, il me faut tout reprendre ; le plus souvent, le soir. Recoller un œil ou un bout d’intestin. Et puis, peu à peu, pas à pas, bout à bout, on arrive à dire – mais toujours en bégayant – quelque chose du monde. C’est rare mais parfois d’autres que moi se voient dans ces mots. Alors, je colle pour dire : attention, nous sommes des morceaux – et peut-être pire – mais je n’ose pas le dire – nous sommes des débris. 

Finalement, du monde du dedans au monde du dehors, tout est affaire de collage – des poussières d’étoiles et voilà des humains, des nuées d’humains et voilà des problèmes. Alors plutôt que de s’évertuer à être des tonneaux remplis de nous-mêmes, coller c’est parfois se dire qu’on peut inventer de nouvelles façons d’être – loup arbre ou visages mais aussi phacochère ou bien vent ou aurore – qui seront comme des mots que la terre pourra recoller à loisir pour s’en faire des chapeaux quand il fera trop chaud.  »

*

I

dans la tiédeur d’un sanctuaire ariane danse
nous sommes dès la naissance
des étourdis au pays de l’odyssée

si une faille se glisse dans leur métamorphose
faut-il craindre de l’avenir à consistance variable ?

nous changeons les météorites en phénomènes
les cétacés en urgence

la terre n’apparaît plus
elle danse elle aussi

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II

les hurlements d’animaux
ne se forgent pas dans l’Histoire
mais ils sont revenus

il y a des relents d’échappées
qui crachent des sensibles

j’ai refusé le chasseur céleste
qui d’autre que moi peut être apprivoisé ?

je suis chère aux ermites car je sers la couleur du mystère

ne dis rien je n’ai pas tout réussi

une forêt efface la mémoire

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*

III

un jour il faudra transformer nos failles en légumes

je rêve de miracle taisez-vous merci

doré de lui-même le frêle genre humain
aimait les lacs l’humour et peut-être le pardon

hélas ses enfants baignent dans des flux d’instruments

la nature morte a été franchie

il m’appartient de naître
loup arbre ou visages