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certains jours je suis coincée dans un album de Fennesz. 

littéralement.

*

je n’ai pas envie d’être ici. il y a du bruit, il y a des gens, il y a le monde qui tourne quand je voudrais qu’il s’arrête avec moi. 

toujours : regardons plus loin, allons.

et moi toujours : pourquoi pas. 

et moi toujours, polie, docile. 

la seule chose que je puisse faire ici, à défaut de pouvoir arrêter le bruit, les gens et le monde qui tourne, c’est d’arrêter mon monde à moi. 

alors voilà, dans une énième défaite, j’allume une fois de plus l’arrêt de mon monde et m’offre la seule chose dont je suis capable en ce moment : un mensonge qui a l’apparence de l’oubli. 

j’ai écrit dans mon journal : « je dois mourir à la fleur pour renaître à la griffe« . 

c’était vrai et juste. 

pourtant mes chevilles refusent de coopérer. 

j’aurais dû dire non je n’ai pas envie d’être ici. mais comment savoir où placer la frontière entre je et tu, entre un désir et un caprice. 

en écrivant ça, je repense forcément à ce vers : « nos désirs ne sont que la moitié de nos caprices ». 

elle aussi je la trouve vraie et juste dans ce qu’elle disait de ce que je sentais au moment où elle est venue.

la poésie est à elle-même sa vérité et l’écriture me sauve toujours du vide. 

toutes les deux disent ce que je n’arrive pas sans elles à affirmer. et le plus drôle : c’est qu’elles le disent sans jamais vraiment dire. 

nos désirs ne sont que la moitié de nos caprices. 

que faire avec ça ? 

est-ce que ça m’aide à savoir quand je désire ou quand je caprice, à savoir quand j’ai le droit ou quand j’ai le toi ? 

non. mais ça m’aide à me sentir moins silencieuse dans mon incapacité à savoir. 

en ce moment, je lis Things I Don’t Want to Know de Déborah Levy et je ratifie beaucoup sa vision de l’écriture comme un palliatif à l’incapacité de dire les choses plus fort. 

écrire parce que non, je n’arrive pas à parler plus fort. 

écrire pour me sentir moins silencieuse. 

écrire pour faire de mon incapacité à m’affirmer une affirmation. 

c’est vrai je suis un peu déçue que tu ne sois pas avec moi. 

mais j’imagine que c’est ce qu’il fallait pour que j’en arrive la. 

le retour à la griffe. 

*

le malaise de ce soir à ce sens : pas à ma place. c’est aussi simple que ça. et les malaises veulent toujours dire ça : pas à ma place. 

alors : fabriquer sa place. 

alors : comment fabriquer sa place ? 

*

derrière la lune il y a le miroir où je regarde mon non-visage, où je regarde toutes les vies que je n’ai pas car j’ai non-choisi d’avoir celle là, celle où je ne suis que cette image qui s’épuise de s’épuiser. 

comme chaque année, comme une envie de me réveiller comme un tournesol coupé à la fin de l’été, un tournesol mort d’avoir été trop fatigué, laissé là au soleil, laissé là, laissé las, laissez la, moi. 

comme chaque année, l’envie faible mais l’envie tout de même, de simplement survivre à l’été. 

*

je me sens tellement fatiguée que j’ai l’impression que mes yeux vont me tomber sur les pieds sans que je puisse discerner entre les deux, les yeux et les pieds, qui sera le coupable, qui sera la victime, les yeux ou les pieds. 

marionnettiste cruelle, je les abuse tous, les regarde tomber, souffrir, gonfler, et je continue inlassablement à tirer les ficelles de ce que je ne comprends pas, de ce qu’en fait je ne sais même pas – les ficelles d’un moi qui essaie comme il peut d’être moi malgré moi. 

*

dans la vallée il fait plus de 30 degrés et pourtant sur les storys de mes amis d’ici : toujours de la neige. 

j’avais tellement de choses à prouver cet été mais je suis coincée ici avec mes pieds blessés et la nécessité de me replonger dans ce que j’étais avant d’être ici et dans ce que je serai encore une fois que j’en serai partie – ce que j’étais avant, ce que je serai après, mais quoi en réalité ? est-ce que je le sais au moins ? 

voilà mon bug de l’été : je n’ai plus la possibilité de prouver autre chose que ma capacité à devenir ce que je suis déjà. 

plus de neige pour les pieds. 

que des ailes dans les mains. 

ça veut dire : plus d’autre choix que de devenir Camille Sova. 

*

constat : touche à tout donc bonne à rien donc bonne à vivre. 

comme d’habitude : difficile de savoir si c’est une bonne nouvelle pas ou pas. 

*

mon corps me fabrique de l’adversité quand j’en manque. comme si l’absence de lutte était pour lui (était pour moi?) absence de vie. 

je lutte pour que le vide ne soit plus. ou plutôt mon corps lutte pour moi. il me fabrique des ennemis en forme de câlins d’organes. 

en plus de mes chevilles, maintenant le pancréas, maintenant l’utérus, maintenant des bouts de mon corps qui disent : savais-tu que le microbiote était composé de dix mille milliards de bactéries ? et tu te penses vide, et tu te penses seule ? lol. 

merci mon corps pour la leçon. 

promis je vais l’apprendre et il n’y aura plus besoin de fabriquer quoi que ce soit. ni câlins, ni bouts de corps, ni rien. 

voici la leçon : 

un ennemi c’est la mort du vide. 

et donc : un ennemi c’est un peu un ami. 

merci mon corps pour la leçon. 

*

il est 1h du matin. je suis couchée, essaie de dormir, plane un peu trop pour trouver le sommeil rapidement. l’orage tourne, l’orage approche, le tonnerre se fait voisin et soudain la corde de ma guitare se casse toute seule. je l’entends se tendre et faire vibrer son dernier son. 

je suis dans mon lit et par terre la corde de ma guitare se casse toute seule. 

je me lève, je l’attrape et je vois : c’est la corde de ré. la note de la joie. la note de la gaieté. 

comme elle se casse toute seule, j’essaie de me persuader que je ne crois pas aux fantômes mais je sais bien au fond de moi que je n’ai qu’une seule envie : aller prendre la main du fantôme qui l’a cassée, lui dire ça va aller, toi aussi tu as droit à ta joie, tu as droit à ta gaieté. promis quand j’en mettrai une neuve, je t’écrirai une chanson pour ta triste gaieté. tu verras, elle sera belle comme toi. 

j’ai envie d’aller lui prendre la main mais je suis forcée de reconnaître que cette nuit aussi prend la forme – comme tout ce que je touche, suis et respire ces temps-ci – de mon incapacité à toucher, être et respirer. 

*

l’année dernière. j’ai passé une année à me demander pourquoi je vivais et à chercher, à travers cette question, un sens à l’existence. 

pour faire simple, j’en suis venue à la conclusion suivante : pour rien. 

mais c’est une bonne nouvelle.

j’ai décidé qu’à partir de septembre, quand tout ici sera fini, il faudra que je me demande pourquoi j’écris, pourquoi je crée. 

si cette question trouve la même réponse que la première – pour rien – alors peut-être qu’il faudra arrêter. 

la création peut-elle souffrir la même vanité que l’existence ? pas sure. 

ne plus se demander que ça pendant trois mois : pourquoi j’écris, pourquoi j’écris, pourquoi j’écris – en espérant qu’à force de le répéter cela finira par ressembler à la fin à : pourquoi je crie, pourquoi je crie, pourquoi je crie. 

*

c’est l’histoire d’un groupe. 

avant il y avait une chanteuse. la chanteuse avait beaucoup d’émotions en elle.

puis la chanteuse est partie.

maintenant il y a deux chanteuses. 

techniquement, les deux chanteuses, même individuellement, sont meilleures que la première chanteuse. 

pourtant, il n’y a plus d’émotion. 

car la première chanteuse est partie et qu’elle a pris avec elle toute l’émotion du groupe. 

j’ai regardé le concert et je me suis dit ça : en musique comme en poésie comme en tout en fait c’est jamais la technique qui compte mais toujours l’émotion. 

ce que tu transmets aux autres mais qui n’est propre qu’à toi. 

ce grain dans ta voix qui dit je suis comme ça. je suis ça. cette part d’émotions. je ne suis que ça dans ce que je vous donne. cette part d’émotions. la mienne. 

c’est la seule chose qui existe en art. qui existe peut-être tout court d’ailleurs. 

ce que seul toi peut faire passer. 

ta part d’émotions. 

et ça m’a aidé à comprendre : ce que j’écris ici ne sert qu’à moi. je le publie pour m’en vider. si quelqu’un le lit, c’est finalement assez drôle. car ça n’est là que pour me permettre d’avancer. cheminer en art comme en vie. 

par contre, les poèmes doivent être là pour les autres. ou plutôt : avec les autres. ils doivent réussir à faire passer une émotion. ou plutôt : une part d’émotions. quelque chose qui n’est propre qu’à moi et qui, parce qu’il n’est qu’à moi, touche quelqu’un d’autre que moi. 

quelque chose qui ferait que même si quelqu’un écrivait exactement les mêmes mots que moi ne pourrait pas dire ce que je dis moi. ou plutôt : ne pourrait pas faire ce que je fais moi. 

qui même s’il était meilleur que moi, ne ferait pas ce que je fais. pour la simple et bonne raison qu’il ne sera jamais moi. moi et ma part d’émotions.

créer pour toucher, et par toucher, exister, et par exister, faire en sorte que personne d’autre que moi ne puisse exister comme moi. 

créer pour trouver sa part. créer pour donner sa part. 

c’est chouette.

j’ai l’impression d’avoir déjà un peu avancé sur ma question. pourquoi je crée.crie : pour exister comme personne d’autre que moi. pour exister comme moi seule existe.

la seule technique qui vaille est celle qui consiste à traiter l’émotion pour la transmettre. 

tout le monde a des émotions mais tout le monde ne sait pas les transmettre. 

l’art c’est juste ça. apprendre à transmettre une émotion. 

s’individualiser. 

trouver sa part d’émotions. 

et ainsi : s’exteriosier. 

et dans les va-et-vient de l’un à l’autre : exister. 

*

pendant la nuit : une intoxication alimentaire.

au réveil à côté du canapé-lit : un crapaud. 

est-ce que les choses tissent entre elles des liens que l’on ignore ? comme un peu des liens magiques ? 

j’ai vomi un crapaud cette nuit : how’s life lately.

*

je ne me sens à la hauteur de rien. 

ce n’est pas que ma nuit avec le fantôme qui a pris la forme de mon incapacité à être. c’est tout ce premier mois d’été. une trentaine de jours passés à me détester et à mettre mes seules forces dans des tentatives de fuite et d’oubli. 

la perspective d’une contrainte, même minime, m’étouffe. la perspective d’une chose à faire, et pire, d’une chose à être, me paralyse. 

je ne sais pas comment je fais pour autant duper le monde. 

on me répète sans cesse que j’inspire la joie mais la chose dont je me suis sentie le plus proche ces dernières semaines c’est cette vieille corde de ré cassée. 

fatiguée d’avoir joué la joie, de l’avoir feinte. 

fatiguée d’avoir joué. 

je repense à une phrase de Pessoa. probablement l’une de celles qui ouvrent Le Livre de l’intranquilité. qui dit comme : « je me sens dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir« . elle tourne dans ma tête avec mes angoisses. le présent d’agonie.

tout m’apparaît comme un mensonge que je formule pour qu’on me laisse tranquille. 

un mois où je n’ai jamais eu d’avenir. 

un mois à fuir, un mois à oublier. 

mais fuir et oublier quoi, à part moi-même ?

précisément ce que je ne peux ni fuir ni oublier.

moi-même. 

ennemie de moi. 

donc un peu amie. 

c’est ce qu’en dirait mon corps. 

peut-être. 

moi-même. 

adversaire donc alliée contre le vide. 

mais quand même. 

je commence vraiment à être fatiguée. 

fatiguée de jouer la joie, fatiguée de la feindre. 

fatiguée de jouer. 

si proche de cette corde cassée par un fantôme un soir d’orage.

*

l’angoisse est une affaire d’impatience. 

commencer la prochaine note par ça si c’est toujours présent. 

comprendre sa logique. 

comprendre pour en sortir. 

ou peut-être d’abord en sortir pour comprendre. 

l’angoisse est une affaire d’impatience. 

je pensais que ça ne pourrait pas être pire. mais si. les sillons continuent de se creuser. continuent leur course. continuent leur jeu, celui de ma torture, grignotage qui commence par les yeux. 

c’est un encombrement progressif. 

invasion sournoise. 

dépossession. 

c’est peut-être une affaire d’impatience mais c’est aussi une affaire de bruits. 

une affaire de voix. 

je dis dans le spectacle : « ma tête a franchi des plafonds de voix et les limites se sont déguisées en pierres ». 

je ne pensais pas que tout ça pourrait revenir. 

mais c’est l’éternel retour de l’esprit contre lui-même. 

l’éternelle lutte pour la survie. 

du corps comme de l’esprit. 

moi-même contre moi-même. 

mais avec de mon côté cette fois, des âmes si précieuses pour m’aider.

je repars de chez Pauline. la crise est passée et je n’ai plus qu’un mot dans la tête : merci.

merci les amis, merci la poésie et merci toi aussi qui subit mes rafales de boue. 

merci. 

l’angoisse est une affaire d’impatience. 

réussir à me dire à chaque fois : on verra bien, on verra bien, on verra bien. 

et à force de le dire, me dire peut-être : on verra bien, on verra bien, ça veut dire à la fin on verra bien le bien. 

« éternellement se rebâtit la même maison de l’être ». 

ça veut bien dire ce que ça dit : ça veut dire se rebâtit le bien aussi. 

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