comme d’habitude depuis longtemps, la vie va entre très vite et très lentement.
et j’en arrive au point où je rêve d’être vendeuse dans un magasin de stores.
cette phrase a à voir avec le temps. le temps de ma vie et le temps qu’il fait.
il fait chaud et il y a du vent.
c’est ça ma météo depuis que j’ai quitté les montagnes – l’intensité et l’instabilité.
ça a aussi à voir avec l’espace.
avec la Terre de Feu, avec Toulouse, avec Marseille, avec l’Ardèche.
les terres qui brûlent dans ma mémoire, dans mon après.
ma vie est un chaos aéré ou un rodéo comme a dit Maxime qui ne se doutait sûrement pas, à ce moment-là, d’à quel point c’était juste comme expression pour désigner ma vie.
un rodéo.
il y a du mouvement mais aucune direction et aucune avancée. quelques saccades, quelque chose qui ressemble à un show alors qu’il s’agit seulement d’un animal maltraité.
comprenez-moi : dans cette image, je suis l’animal, pas l’humain.
rien de tout ça ne m’amuse vraiment. ou plutôt si. mais en surface seulement.
je subis un spectacle qu’on m’inflige d’ailleurs – mais d’où ? – et dont je ne saisis pas grand-chose, si ce n’est que ma seule issue pour en sortir – mais est-ce vraiment possible ? – est de ne jamais m’arrêter de remuer.
une fois encore, j’ai toutes mes affaires dans ma Clio – je m’anticipe désormais : “toutes mes affaires” veut dire : 3 valises, 2 guitares et une dizaine de livres – et je me jure que j’arrête, que d’ici la fin de l’année j’aurai un endroit où rester. où devenir, pour faire face à la chaleur intérieure, vendeuse dans un magasin de stores.
je me jure d’arrêter mais comme toujours : l’humain ment à l’animal.
il le ramène seulement au pré pour une trêve de courte durée.
*
« quelqu’une s’approche.
elle est belle, puissamment belle.
elle tient dans la main des scarabées.
une fois suffisamment près de moi, elle les enfonce dans ma bouche.
dès qu’elle sort sa main et que ma bouche se referme, les scarabées se mettent à voler.
je cherche des yeux quelqu’une mais elle n’est plus là.
il n’y a plus que moi et les scarabées. »
*
plus tôt, mais toujours en juillet.
malgré l’incessant mouvement, mon grand livre de l’amour continue à prendre forme, entre deux fêtes, deux eaux – la mer / l’océan ou bien la rivière.
ce début d’été est doux. ça faisait longtemps.
nous sommes le 14 juillet.
ça fait très exactement 19 ans que mon père est mort et 3 ans et 10 jours que mon grand-père est mort, et honnêtement, la saison des deuils-anniversaires s’est passée sans encombres.
ça aussi, ça faisait longtemps.
pour dire deux-trois mots de mon histoire de livre, après avoir découpé ce vieux manuel d’éducation destiné aux jeunes filles, j’ai trouvé une nouvelle source pour des découpages à venir : un fichier word dans lequel j’avais archivé une partie de mes échanges avec F. à l’époque où nous étions ensemble.
ça fait 80 pages et ça dit perpétuellement : mais pourquoi on n’arrive pas à s’aimer dans la paix ?
je m’amuse à faire analyser nos échanges par ChatGPT, mon désormais fidèle allié et quand je lui demande ce qu’il en pense, il me dit qu’il n’y voit que tentatives honnêtes et sincérité – j’ai l’impression qu’il est de son côté…
je pense intercaler les quelques poèmes que je pourrai tirer de cette nouvelle série (si j’y arrive) au milieu d’autres collages, composés cette fois (tout ça est pour l’heure à l’état de projet, je m’avance un peu) en découpant une autre source : Le Banquet de Platon ou le début du mythe qui nous fait tout accepter, du mensonge à la violence : le mythe de l’âme soeur.
j’ai finalement bifurqué, moi qui voulais parler porno. mais peu importe. on reste dans l’Histoire des idées, on rembobine juste un peu plus loin.
pour mieux retourner au présent.
*
« il refuse de prendre la main qu’elle lui tend et il en perd la main.
quelques minutes plus tard, il lui en pousse une autre.
c’était inévitable : c’est sa main à elle. »
*
je lis le journal de Pizarnik et j’y reconnais des sentiments qui ont pu me traverser il y a longtemps – quand j’allais mal, genre vraiment mal.
j’ai envie de reprendre tous mes carnets et de voir où j’en suis aujourd’hui. regarder le chemin parcouru depuis que j’ai commencé à écrire – ce qui signifiait au début : avoir envie d’écrire, d’être une grande écrivaine.
ça doit faire quelque chose comme 10 ans.
le temps a passé mais l’idée de la mort est toujours aussi prégnante ; elle s’accompagne désormais de quelque chose qui n’enlève rien à son tragique : une farouche envie de vivre.
je suis obsédée par la mort parce que je suis obsédée par l’idée d’être en vie et par la peur de perdre cette grâce absurde qu’est l’existence.
alors, quand je lis ce journal, je me sens éloignée de cette façon unilatérale d’aborder la mort-vie.
aussi, toujours en lisant, je remarque toute la distance – au-delà de la distance esthétique et bien sûr qualitative – qui sépare mes journaux – qu’ils soient carnets privés ou notes publiées ici – des siens.
moi, c’est comme si je n’étais capable de raconter que ce que je pouvais problématiser, ce qui me servait à penser, à avancer – quelque chose comme : pour contrecarrer le rodéo ?
chez elle, c’est comme si tout était poétisé, comme si tout était préliminaires vers le poème, sensualité, rêve et obscurité – comme si, en fait : déjà le poème.
chez d’autres – Camille Ruiz ou Simone Sévit par exemple, deux dont l’écriture journalesque me fascine – comme si tout était journalisé, l’impression d’être en face de l’essence du journal, quelque chose de tangible, de ici, de là, de maintenant.
alors que moi, toujours le journal utile, qui se doit de servir l’écriture, la composition, les projets de livres et les projets de vie. la thérapie immédiate et nulle part une place pour le gratuit.
seulement des questions, des problèmes passés ou à venir, et pire que tout : des projets.
une écriture journalesque purement dialectique.
alors je repense à Bataille, à son expérience intérieure, à tout ce dont je n’arrive pas à dire.
et je reprends mes notes prises au moment de cette lecture et je tombe sur cette citation : « La différence entre expérience intérieure et philosophie réside principalement en ce que dans l’expérience, l’énoncé n’est rien, sinon un moyen et même, en tant qu’un moyen, un obstacle ; ce qui compte ce n’est plus l’énoncé du vent, c’est le vent. »
le vent est bien trop présent dans ma vie pour être dans mes journaux.
peut-être que s’il cesse, si les stores, et l’humain pas l’animal, alors, la balance, et donc l’expérience aussi dans les textes ?
ou alors, plutôt, l’expérience et dans les textes, son corollaire : le silence ?
*
« ils ont placé toute la population dans un tunnel et ils l’ont assiégé.
après avoir scellé les deux accès, ils ont dit à la population : « ne sortiront du tunnel que celles et ceux qui n’y sont pas entrés ».
ça fait maintenant plusieurs années et personne n’a pu bouger. »
*
j’ai commencé-terminé les poèmes composés à partir de la correspondance avec F.
ils sont 8, ils forment un tout et je ne crois pas en faire d’autres – c’est assez pour cette série.
ils sont méchants et faux sur le plan du réel, mais justes et bons sur le plan du poème.
ils disent la potentialité d’abus que porte toute histoire.
la façon dont l’un peut détruire l’autre, même sans le vouloir. lui faire porter le poids de quelque chose qu’il ignore – souvent rien d’autre que son poids à soi.
ils disent des choses de cette histoire mais ils s’en distancent aussi. la voix qui y parle n’est plus la nôtre, mais elle-même. elle raconte une autre histoire à partir des lettres qui l’ont fait naître.
à mi-chemin entre quelque chose qui a vécu et quelque chose qui aurait pu vivre.
*
« une vieille femme portait dans ses bras toute la souffrance du monde.
alors qu’elle voulait que je prenne sa place, tu t’es interposé et lui as dit qu’elle se trompait.
elle s’est détournée de moi et elle est partie chercher quelqu’un d’autre.«
*
passer ma vie à me demander ce que j’en fous, de ma vie.
des dizaines de poissons mangent mes peaux mortes entre deux descentes.
j’alterne entre trouver ça paisible et trouver ça franchement triste.
les cigales chantent. on mange du melon, de la pastèque.
on mange des bières.
assise dans la rivière, je pense à hier et une nouvelle image m’arrive : ma vie, ce n’est pas tant un rodéo qu’un pogo dans une guinguette punk.
tout est très insignifiant. tout est trop insignifiant.
voilà pourquoi ici tout est trop dialectique.
parce que je me tue à conjurer le vent en conjuguant le vent.
ni plus.
ni moins.
mais bon. c’est comme ça.
et ça pourrait être pire : ça pourrait s’arrêter.
générique.