l’autre fois, j’annonçais la fin des notes adressées.
la fin du livre de l’amour.
et la fin d’une histoire.
il est donc désormais l’heure, très logiquement, du début d’autres choses.
voici l’une d’elles : le début d’un nouveau projet d’écriture.
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ça fait plusieurs mois que j’y pense. ça a commencé dès que j’ai envisagé la fin du livre de l’amour. disons entre la fin de l’été et le début de l’automne.
c’était là, à l’état de germe, quelque part dans mon esprit.
alors, quand sont arrivés ces fins en chaîne, j’étais apaisée d’avoir avec moi l’assurance d’un nouveau projet, dont j’avais réussi à entrevoir, même si très vaguement, les grandes lignes abstraites.
aussi, et peut-être surtout, ce recueil à venir m’apparaissait comme le troisième opus d’une sorte de trilogie collée que j’ai en tête depuis plusieurs années sans vraiment l’avoir encore clairement identifié, mais qui est là, elle aussi, et qui existe en moi, qui attend son tour.
je repense en écrivant ça, à cette idée de Gide selon laquelle on peut porter des années un livre en soi, sans l’écrire, juste comme ça, comme un fœtus infini, avant qu’un accouchement étrange nous en délivre.
enfin bref.
ce que je peux dire pour le moment à propos de cette trilogie collée, c’est que je la conçois paradoxalement, elle qui ne sera tissée que de recueils composés par cut-up, comme un dé-collage, c’est-à-dire comme un moyen de me délester de certains poids, de certaines façons de concevoir des réalités qui me sont propres.
il s’agit pour moi d’aller du collage au dé-collage, de me quitter moi en y ayant plonger le plus profondément possible, le tout à partir des mots des autres qui matérialisent tous ces agents d’énonciation qui parlent à ma place, à la nôtre.
dit comme ça, ça pourrait sembler intelligent ou simplement réfléchi, mais en fait, ça n’a presque rien à voir avec l’écriture, avec la pensée, ou avec qui que ce soit d’autre que moi. je fais ça avant tout pour m’émanciper moi, de choses qui me pèsent à moi – même s’il est possible que j’arrive parfois à aller au-delà, de moi, et peut-être par là à transmettre à d’autres cette envie d’émancipation… mais encore une fois, je m’égare.
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avec le premier recueil, en découpant des revues de développement personnel, j’essayais de comprendre autant que de dépasser ma situation d’orpheline (j’ai appris que cela pouvait se dire même s’il nous restait un parent), longtemps fantomatique, ayant vécu un peu trop de deuils et de violences avant sa vingtaine. c’était aussi l’occasion d’interroger mon corps malade et fragile, et ma santé mentale pas forcément meilleure.
je m’interrogeais sur l’impossibilité de parler de sujets graves et/ou douloureux, avec une philo-psychologie où tout doit toujours finir par « être ok ».
je parlais au début beaucoup de moi et puis j’en suis venue à considérer le monde et la Terre, la Terre et celleux qui la peuplent, en observant toutes ces constellations de sols seuls et salis, réunis dans une même souffrance qui peine même parfois à se formaliser.
c’était le premier rayon de la trilogie : comprendre qui je suis, à partir d’où je viens.
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parenthèse, le fruit de ce travail s’appelle Les Branches des autres et sortira le 25 mars aux éditions MF. il est déjà précommandable, à droite et à gauche.
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avec le second recueil, c’était au tour des relations amoureuses d’être passées au crible de mon interrogation poétologique. j’en ai assez parlé dernièrement donc je n’y reviens pas trop longtemps, mais l’idée était de comprendre qui je suis, à partir de qui j’aime, ou peut-être plutôt : à partir de qui on me fait aimer.
j’interrogeais les schémas qui pré-déterminent nos relations amoureuses, particulièrement hétéros, dans la société patriarcale dans laquelle on est bien forcé de se mouvoir et donc d’aimer.
ça allait de la mère-sainte à la pornographie, en passant par le mythe de l’amour-passion ou celui de l’âme sœur, en essayant chaque fois de voir comment cette mythologie amoureuse avait pu influencer mes histoires à moi.
je précise quand même que tout ça toujours se passe surtout dans ma tête, dans la phase préparatoire et quand je suis sur ma table de travail : si on ne le sait pas, ces grandes questions peuvent tout à fait apparaître comme étant secondaires – et d’ailleurs elles le sont. elles se diluent dans le processus créatif, au fil de la composition. ce qui importe est en fait le poème et l’ensemble dans lequel il s’inscrit. rien d’autre. ce qui m’a amené à l’écrire, m’intéresse, moi, mais ce qui compte après cette étape, est ce qu’il pourra faire, lui.
avec ce nouveau travail, l’idée était donc de chercher, de réfléchir, de comprendre et de me délester, j’espérais, de cette peur panique que j’avais grâce à ce travail identifié, de ne pas être constamment la plus belle, la meilleure, celle que l’on choisit à chaque fois. j’en ai parlé là, là, là et beaucoup là.
c’est ça que m’a permis ce recueil : comprendre cette peur et les origines socio-mythologiques qui lui sont attachées.
et finalement, le fait de m’être faite larguer à la fin de la composition de ce livre m’apparaît comme la meilleure conclusion qui pouvait lui être donnée.
il n’y avait pas à avoir peur : j’ai sans surprise survécu avec toujours cette même aisance dans la catastrophe. je n’étais plus choisie mais j’étais toujours moi, ce qui en fait, était déjà beaucoup.
fallait-il passer par l’écriture de ce recueil ou par cette rupture pour le découvrir ? on ne le saura jamais. en attendant, j’aime ce recueil né de cette recherche, et les poèmes qui le composent, qui à leur tour, tracent leur propre voie, posent leurs propres questions.
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j’en arrive enfin, après ce long rappel, à la où j’en suis aujourd’hui : les prémices du troisième opus de cette trilogie.
son sujet est encore flou mais j’ai l’impression que quand j’ai un peu d’espace mental disponible (je retravaille d’une part, et surtout d’autre part, je suis repartie vivre au pays où tout se passe toujours à allure d’avalanche) les choses se mettent en place doucement (disons cette fois : à allure de flocon).
avec lui, j’aimerais tourner autour du territoire, de l’habiter et de la mort, mais sans savoir encore trop comment articuler ces notions, si ce n’est (mais c’est seulement une intuition nocturne) peut-être à partir de l’idée de direction (même si une sorte de deleuzianisme primaire me fait me dire que c’est un axe de droite, parce que trop peu rhizomatique…).
en tout cas, avec ces nouveaux axes, peut-être que pour reprendre le fil de mon interrogation trilogesque, ça pourrait donner quelque chose comme : qui je suis, à partir d’où je suis / d’où je vais ?
à voir.
mais je sens que quelque chose frémit, lentement mais sûrement, comme ça se passe parfois, rarement avec moi c’est vrai, mais voilà : quelque chose est en train de se passer, et c’est réjouissant.
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quand je pense à cette trilogie, en tout cas à ces deux premiers recueils, et à ce troisième en germe, je me dis que c’est peut-être une façon pour moi d’interroger ma position, un peu dans la perspective des savoirs situés d’Haraway.
je veux faire mienne cette objectivité forte qui assume sa partialité et l’ancrage de son regard dans un faisceau de conditions particulières. regarder d’où je parle et d’où j’écris, peut-être dans l’idée de dépasser, ou en tout cas d’être en pleine conscience, des biais qui sont les miens.
je n’écris pas depuis nulle part. d’ailleurs, j’ai eu beau essayer de m’y perdre depuis 18 mois, nulle part n’existe pas.
tout est toujours quelque chose quelque part.
il y a mes pleurs de joie et mes pleurs de peur, des choses qui naissent et des choses qui meurent, et il y a la neige aussi.
mais tout est toujours quelque chose quelque part.
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j’ai voulu avec le premier livre apprendre à grandir, apprendre à croître, ce qui supposait, d’apprendre à fuir (et c’est d’ailleurs l’objet de ma Chambre-forêt, ce petit conte paru à la fin de l’année) ; avec le second j’ai voulu apprendre à aimer, ce qui supposait visiblement d’apprendre à perdre, à laisser ; peut-être qu’aujourd’hui j’aimerais apprendre à habiter, apprendre à rester, arrêter de m’épuiser dans mon errance faite de ces perpétuelles morts et résurrections, quitte à apprendre à mourir pour de vrai – peut-être en apprenant pour la première fois à naître, qui sait.
on verra bien. de toute façon, c’est impossible de savoir de quoi sera tissé ce recueil avant d’avoir trouvé ses fils, ses lignes.
c’est ce qui va désormais m’occuper.
je vais devoir apprendre à écrire le territoire, et pour ça apprendre à le voir, et pour ça apprendre à l’écouter. découvrir comment parle une carte et comment la découper pour pouvoir la réinventer.
c’est un beau programme pour l’année : réfléchir à mon rapport à l’espace et à travers lui à mon rapport temps, car je crois que derrière ces fuites permanentes se joue quelque chose de mon rapport à l’existence et peut-être à la finitude.
nous verrons bien.
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cette note annonce la véritable saison 2 de mon journal du web. je l’avais annoncé en avril dernier, mais en fait, toutes les notes qui ont été écrites à ce moment-là étaient dans la continuité des premières : elles étaient adressées, et elles concernaient le livre de l’amour et mes recherches à ce sujet.
place désormais au journal de l’espace.
cette note est son introduction. elle était un peu longue, un peu barbante peut-être, mais j’avais besoin de poser quelques jalons, pour moi et pour les étudiant-es qui étudieront mon travail en 2045.
les prochaines notes seront plus légères.
j’espère.