je pensais finir cette note dans le jardin mais je vais vraisemblablement la finir dans l’avion.
je préfère prévenir : elle risque d’être longue.
je le redis : tout ça s’appelle thérapie parce que je n’avais plus de quoi m’en payer une.
ça s’appelle thérapie mais ça touche parfois d’autres que moi, ça nous fait échanger, et ça, je trouve ça cool.
en essayant d’organiser ces notes, je me suis dit que mes récentes aventures s’organisaient autour de trois thèmes – la nuit, le partir et l’ami – et qu’il y avait à chaque fois la volonté de formuler à travers eux une éthique de la fin.
pour vous donner un avant-goût de cette éthique de la fin, en prenant pour exemple ma situation actuelle de terrorisée dans un avion, ça donne un peu ce que je me répète en ce moment : « même si je dois finir par m’écraser en plein milieu de l’océan : eh bien quoi ? tout ce qu’il y a eu avant valait le coup de mourir ici et maintenant. même si c’est beaucoup trop tôt évidemment. ça valait le coup d’avoir été. alors on essaie d’avaler l’idée. à défaut d’avoir à portée de main n’importe quel cachet. ».
c’est ça l’éthique de la fin appliquée à l’avion. on verra pour les autres et on verra si ça fonctionne.
*

*
au milieu de ces tentatives, il y aura des citations de Bachelard et des poèmes de René Char, une critique du dernier livre de Laganesrie et, comme ça vient d’être le cas, des extraits de conversations que j’ai eues dernièrement.
ça n’a pas trop de sens.
c’est plutôt bon signe.
ça ressemble à ma vie.
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d’abord la nuit, ce qui veut dire la Fête et donc ici la fin de la Fête.
une particulière.
c’était il y a trois semaines.
le sur-lendemain j’écrivais : le mélange des deux a ouvert des espaces neufs sous ma poitrine – pas forcément des bons.
il y avait beaucoup de pluie et des traits rouges, verts et bleus autour des arbres.
j’ai ri à en pleurer et j’ai pensé : très bien, il faut aller dans le sens où il faut aller, chercher la lumière de la nuit sans cesse et sans répit. s’y dévouer comme si c’était un jeu, c’est-à-dire avec sérieux.
j’ai trop vécu dans la forêt. je veux désormais habiter un néon.
quoi que.
mais quand même.
disons parfois souvent monter monter monter et chuter dans un puits inventé par la bouche et placé entre les seins : gouffre surprise arrivé au matin.
alors patiemment attendre que les niveaux remontent. que la surface refasse surface. attendre. et dans l’intervalle : chanter un peu.
*

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il y avait un nénuphar au fond du puits.
quand il a vu mon maquillage, il s’est ouvert.
je l’ai pris, il m’a souri.
il y avait un nénuphar au fond du puits et il m’a dit : ça va aller, regarde-moi j’ai fleuri dans ce qui se montrait à toi comme une nuit. il te suffit juste de .
et il n’a pas fini.
je l’ai reposé au fond du puits et j’ai compris : n’attends pas d’un nénuphar au fond d’un puits la réponse à ton destin.
sors d’abord de là et le reste arrivera.
*

*
elle s’en va en portant un miroir sur le dos et il dit : « c’est comme si la fête reculait et que nous on restait là ».
tout en moi chute.
je me cramponne à lui toute la nuit et je murmure : « demain tout sera encore réel ? ».
il répond : « il faut dormir maintenant ».
bien sûr, il ne comprend pas l’urgence de la question. il ne sait pas que la réalité est parfois trop peu tangible sous mes doigts.
qu’importe.
j’éclate une dernière fois de rire et finis probablement par m’endormir.
*

*
j’ai compris ça de la nuit. c’est elle qui me l’a dit : il faut que j’arrête l’après.
c’est pas facile quand on habite l’après parce que ça a toujours été ça pour survivre : habiter l’après parce que le maintenant brûlait et que la maison était cet endroit qui brûlait.
arrêter l’après. redevenir le vent. sentir l’ouverture. s’y engouffrer toute entière.
en fait, paradoxalement arrêter l’après pour mieux s’y engouffrer.
courant d’air erre parmi les airs des uns des unes des rien de bien concret où s’arrêter.
dispersion, dispersion.
arrête l’avenir se moque le présent.
toi d’abord, j’ai envie de lui dire, toi qui n’es qu’en étant avant lui.
*

*
c’est le prix à payer pour regarder l’intérieur de la lumière.
*

*
j’ai écrit ça sans trop savoir pourquoi.
quelques jours plus tard, je comprends : je perds la vue en même temps qu’une bonne centaine de neurones dans un nouvel orage à moteur pour cerveau sur-sous-excité.
*

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pendant cette semaine qui était en fait un long suicide tuesday, j’ai compris que mon éthique de la nuit devrait être aussi une éthique de la fin : apprendre à accepter que tout finit toujours par finir.
je sais que je tourne sans fin autour de cette idée mais j’ai visiblement encore du mal à l’accepter.
j’ai d’ailleurs repensé à un poème collé cet hiver, au milieu de toutes ces fêtes.
c’était la première fois que je te voyais t’en aller et je collais comme pour me recoller un peu : « avec mes ailes en forme de papilles / je lèche ma lucidité // la fête a une fin et on ne retient pas / un corps par les yeux ».
je me suis répétée ça toute cette semaine.
un corps par les yeux.
un corps par les yeux.
un corps par les yeux.
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pour ne rien arranger, je fais le tri dans mon appartement et me prépare mentalement à vivre mon douzième déménagement en neuf ans. il me reste du temps, quelque chose comme quatre mois, mais c’est déjà présent dans mon esprit et comme à chaque fois, comme pour me rassurer, je me dis : je ne pars pas vraiment, je m’allège simplement.
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j’ai beau déménager quasiment tous les ans, je trimballe toujours autant d’objets inutiles qui sont des choses qui sont mes choses et auxquelles je tiens sans pourtant souvent me souvenir de ce à quoi elles réfèrent.
leur rôle est simple : elles quadrillent un espace pour en faire une maison et me permettent ainsi d’apprivoiser les lieux où je m’installe sans arrêt.
en les voyant, je repense à La Poétique de l’espace de Bachelard que je reprends pour l’occasion.
j’y trouve cette phrase : « Étrange situation, les espaces qu’on aime ne veulent pas toujours être enfermés ! Ils se déploient. On dirait qu’ils se transportent aisément ailleurs, en d’autres temps, dans des plans différents de rêves et de souvenirs. ».
ma maison s’étend et ma maison se déplace avec moi.
ma maison est une, quelqu’elle soit elle reste même.
ma maison n’est ni dans des murs, ni dans des choses. ma maison est dans son perpétuel déploiement. ma maison commence toujours dans sa fin.
René Char écrit : « En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’oeuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps. ».
et je retiens ce que j’ai envie d’y lire : le partir comme la poésie est un apprentissage de la fin.
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j’arrête le futur, ment-elle sans scrupules.
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dans ma lancée, je reprends Char.
peu à peu, je me dis que cette note s’écrit comme s’il s’agissait d’une même longue journée.
oui. je cherche une logique à ces dernières semaines.
en reprenant Char, je retombe sur ce poème.
« Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pourrais-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en amour une anémone géante.
Je n’entrerai pas dans votre coeur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’ouvrir sur le bleu de l’air et la soif de partir. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable. »
je le lis jusqu’à me dire : moi aussi je veux pour mon amour une nuit possible où vivre mon amour dans la liberté de mon amour.
ce poème et cette idée sont à garder en tête pour ce qui vient.
*

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si le début de cette note est devenu une même journée, imaginons sa suite comme un après-midi à la rivière.
imaginons qu’au bord de la rivière il y a des lézards qui dansent au son d’une clarinette.
qu’il y a mon amour, un ciel vert de feuilles et des nuages qui embrassent leur commune difformité.
autour, le printemps irrigue l’atmosphère, le printemps rayonne et pendant ce temps résonne dans ma tête la voix d’un intellectuel qui répète d’un air monotone : la conjugalité est un appauvrissement relationnel, la conjugalité est un appauvrissement relationnel.
tandis que dans ma tête, il répète ça d’un air monotone, j’essaie de lui montrer qu’il a peut-être tort : toi qui penses penser, regarde le printemps irriguer l’atmosphère, regarde-nous enlacés à la rivière comme aux sourires du ciel, regarde le fil qu’il y a entre eux et regarde la richesse de tous ces liens qui nous unissent. tu vois bien qu’on peut bien être deux sans pourtant s’appauvrir et que le bien ne sera jamais l’apanage du plein. nous sommes là ensemble comme nous pourrions être avec tous nos autres et tous leurs autres à eux. ensemble parmi les autres des autres, comme nous le sommes si souvent, ensemble à deux et dans le plein – qui je le redis dans l’autre sens : n’est pas l’apanage du bien.
et il dirait.
et ça y est déjà on discute dans ma tête.
fais chier.
cette note s’écrit de plus en plus comme une journée perdue à réfléchir.
*

*
pour dire des choses peut-être plus concrètes, j’ai lu la semaine dernière 3. Une aspiration au dehors de Geoffroy de Laganesrie.
c’était lui l’intellectuel qui parlait dans ma tête à la rivière.
je l’ai d’abord entendu parler de son livre avant de m’y plonger vraiment par la lecture.
au-delà de mon sursaut sur cette histoire de conjugalité (car honnêtement je vois trop bien ce qu’il veut dire sur ce point et je suis même assez d’accord) j’ai tout de suite été séduite.
faire de l’amitié un mode de vie c’est un peu le programme que je m’étais donnée pour cette année en disant que 2023 serait « l’année des frérots ».
alors oui. peut-être que j’écris quand même toujours beaucoup sur l’amour. j’y peux rien si tu es arrivé, toi aussi sorti de l’eau en ce début d’année. mais justement, du fait de cette envie – faire de cette année l’année de l’amitié – et de cette nouvelle réalité – accueillir l’amour qui s’est pointé – j’ai voulu fondre ces deux états en un et j’ai cherché à voir s’il était possible de romantiser mes amitiés et d’amicaliser mon histoire avec toi (dire “mes amours” aujourd’hui serait mentir).
j’écrivais d’ailleurs en février : « nos amitiés ont aussi le droit d’être romantisées. nos amitiés méritent plus de place car elles sont souvent nos plus belles histoires. ».
c’est pour ça, quand j’ai entendu parler de 3 avant de m’y plonger vraiment par la lecture, j’ai commencé par ratifier beaucoup de choses.
j’ai compris d’abord ma première erreur : celle d’avoir voulu romantiser mes amitiés.
ce que Laganesrie dit très très bien, c’est que dans nos discours, l’amitié ne vaut rarement pour elle-même et que souvent elle n’a du sens qu’en tant qu’on la rapproche d’autre chose, comme par exemple de la famille ou de l’amour.
« je l’aime comme une sœur », « c’est l’année des frérots », « c’est un amour platonique ».
ça c’est vrai.
dire que je voulais romantiser mes amitiés, c’était une façon pour moi de dire que je voulais leur donner plus de place. les mettre au centre de quelque chose. en faire un axe autour duquel tourner. quelque chose comme : la révolution de mon soleil cette année se fera autour de mes amis.
toujours en février, je parlais de ce podcast où deux amies disaient s’être mariées pour fêter leur amitié et je demandais à Marie si elle était d’accord de m’épouser.
là encore, il s’agissait de rapprocher l’amitié de ce qu’elle n’est pas. comme pour lui trouver une légitimité qu’elle n’aurait pas à elle toute seule, pour lui donner du poids pour exister. alors qu’en fait, l’amitié a du poids précisément parce qu’elle est légèreté. parce qu’elle est ce flottement, cet accord qui n’a pas eu besoin d’être énoncé.
cette deuxième partie, c’est que je pensais qu’il pensait lui aussi à l’écouter parler.
alors j’ai continué à ratifier.
à ratifier l’idée que l’amitié était d’abord une histoire de dehors, une histoire de rencontres, que l’amitié est ce qui ouvre au monde et à l’altérité quand la famille incarne ce qui enferme (il reprend ici les idées de Reich et d’Horkheimer) et le couple ce qui se sent toujours menacé par le monde et par l’altérité (et il reprend ici Barthes et ses Fragments du discours amoureux).
j’étais d’accord avec tout ça.
et puis ça a un peu changé.
j’ai vite été un peu déçue.
*

*
j’ai été gênée par plein de choses mais pour résumer, il y a trois choses (+1) qui m’ont vraiment posé problème :
1/ l’absence d’une réelle réflexion politique : mettre l’amitié au centre de son existence pourquoi pas, mais pour tendre vers quelles formes de liens et vers quels horizons ? car s’il s’agit uniquement de fêter noël avec ses potes et de leur amener des Doliprane quand ils sont en gueule de bois (voire même, soyons vraiment révolutionnaires : des croissants quand ils n’ont plus d’inspiration), moi je veux bien, mais ça donne pas un projet politique susceptible de renverser le « pratico-inerte » de droite et ça fait même plutôt rentrer des tunes chez Orpea. ce qui n’est pas tellement de gauche. mais c’est peut-être un autre débat. ou pas.
2/ la pauvreté et l’anxiété qui entourent sa conception de l’amitié : pauvre parce qu’il essaie tant bien que mal de revaloriser l’utilitarisme en amitié (pas convaincue) et pauvre surtout parce qu’il reprend Aristote pour nous dire que l’ami est celui qui doit être continuellement présent pour être encore ami. Aristote qui certes n’avait probablement pas Whatsapp. mais qui pouvait quand même se tromper.
même sans entretenir des conversations régulières avec certains de mes amis, nos amitiés se poursuivent d’années en années et ont besoin d’un rien (une visite, un message, un appel, même après des mois de silence et d’absence) pour montrer toute leur vitalité. l’absence n’est pas un frein à l’amitié. seule la passion a besoin de fusion pour subsister. vouloir fusionner avec ses amis, c’est rejouer Les Fragments d’un discours amoureux : c’est perdre. d’autant que si je pense à mon éthique de la fin censée guider cette note pour que tout ça ait un semblant de sens, j’ajouterai que c’est précisément le flou qui entoure une amitié (et qui est entretenu par la possibilité du silence, de l’absence et donc de la dissolution discrète et permanente de l’amitié) qui lui donne aussi toute sa valeur. aller contre ça, c’est aller contre l’amitié elle-même, c’est-à-dire contre sa légèreté et contre son caractère a-dramatique. c’est ne pas lui faire confiance et c’est la faire source d’anxiété : amis, je vous aime sans message de bonne nuit et même sans la synchronisation parfaite de nos agendas. l’inverse me terroriserait. avec qui que ce soit.
3/ l’omission totale des travaux contemporains qui s’attachent à réinventer l’amour et la parentalité indépendamment des logiques de domination. il y a toute une littérature, principalement queer et féministe, qui s’évertue à ça aujourd’hui. les omettre c’est faire taire tout ce qui est en train de bouger sur ce plan-là aussi et donc une fois de plus invisibiliser ces voix (et donc ces voies). car non : évoquer rapidement l’idée de “la femme gelée” d’Ernaux ça ne suffit pas à faire d’un texte un “livre féministe”. les choses ne sont plus aussi figées que lorsque Barthes publie les Fragments en 1977. il y a des gen(te)s qui font en sorte que les choses bougent. et on peut pas faire comme si elles (et ils) n’existaient pas.
juste comme ça, il y a le Manifeste pour une démocratie déviante. Amours queers face au fascisme de Costanza Spina qui sort en juin. et ça a l’air assez chouette.
et le +1 c’est simplement parce que je trouve que « la-vie-à-trois » qu’il décrit ne correspond pas à une aspiration au dehors (ni à un dehors tout court) mais plutôt à quelque chose de figé et de ritualisé. mais c’est un jugement personnel plus qu’une remarque de fond.
*

*
alors oui pour dire que la famille et la conjugalité peuvent prédisposer à des logiques autoritaires et autoritaristes.
oui pour cultiver l’amitié comme un « espace cumulatif et transitif » susceptible de « faire émerger un agencement du monde différent de celui que construisent les frontières professionnelles, générationnelles ou nationales ».
autrement dit : oui pour « sortir du monde pour mieux le recomposer, le plier, le dés-ordonner » et pour ça : oui pour se laisser guider par « une logique de l’extériorité et de la rencontre ».
mais non pour avoir à choisir entre les extériorités et les rencontres et non pour faire de l’amitié un dedans de plus.
je repense à ma dernière note où le hasard d’un souvenir Facebook m’avait ramenée vers un passage de Deleuze et Guattari que j’avais publié et qui m’avait permis de trancher mon faux dilemme entre dedans et dehors par une éthique du et.
c’est peut-être elle qui peut aussi résoudre le faux dilemme ami VS amour/famille.
*

*
je fais une pause.
toute cette note s’écrit en parallèle de plusieurs journées que je revis au fil de ces lignes.
du jardin, à l’avion, à l’hôtel, je suis désormais de retour à la rivière.
au bord de l’eau, après l’étreinte, les arbres ont ravivé leur teint.
c’était comme une caresse sur du vert tandis que le vent chantait : down by the river, down by the river, two lovers, two lovers, try to be the river, try to be the river.
je pensais à cette histoire de conjugalité et ça a fait : même dans notre intérieur, il y aura toujours l’extérieur qu’on sera toujours pour l’autre. sa chaleur, son goût, son humeur. une altérité est toujours irréductible, qu’on la vive une nuit ou mille.
le dehors est partout au-dehors et peut-être même est parfois un dehors même au-dedans.
qui sait si même à l’intérieur de moi, il n’y a pas des dehors que j’ignore ?
*

*
j’en ai marre de discuter.
je continue à divaguer avec nos souvenirs, avec ce que devait être cette journée.
et de la rivière je vais à la clairière.
un temps.
nos eaux se répandent sur le sol et tu dis : « ça y est, je me suis réconcilié avec la forêt ! ».
je ris car je sens déjà que tu rentreras sans les mains et que nos enfants, à défaut de pousser, glissent déjà dans la terre.
ils ne sont pour l’heure que des gouttes mais un jour ils seront des libres.
j’en suis convaincue : il existe des milliers de façons d’inventer des relations sauvages et libres.
nos enfants, qu’ils existent ou pas, le seront – sauvages et libres – comme nous le sommes maintenant. pour l’heure rassure-toi : je n’y pense uniquement que pour écrire mes délires.
on s’apprête à partir, on se prend par la main et une dernière fois nous sommes cette odeur de fougère et ton rire, nous sommes le flou de toute la rivière, nous sommes, et en fait c’est déjà beaucoup de le dire : nous sommes et le dehors avec.
et le dehors avec.
et le dehors avec.
*

*
il y a beaucoup d’oublis dans ce livre.
ça arrive.
mais du coup je me demande : sait-il ce que ça fait d’habiter un instant l’intérieur d’une clairière ?
certains centres méritent que l’on s’y arrête.
certains centres méritent d’être.
multicentrer mon existence. ça serait ça ma réponse à la fausse alternative du dehors-dedans, ami-amour.
je repense encore à ce vers collé il y a longtemps : « tout centre se forme au contact de l’espace qu’il traverse ».
ça veut dire : tout centre se forme (mais aussi se défait) au contact d’un dehors.
mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a qu’un centre et qu’il n’y a qu’un dehors.
multicentrer : ne jamais faire en sorte qu’il n’y ait qu’un centre et donc qu’il n’y ait qu’un dehors.
vouloir qu’il y en ait mille et qu’ils soient mille fois libres.
multicentrer et pour ça, oui, s’inventer sa propre « politique de l’existence ».
ne pas choisir entre la forêt et le néon. entre le poème et le futile. entre le sens et l’existence. et pire que tout : entre l’ami et l’amour.
ne pas oublier l’éthique du et.
amour et ami. amour amicalisé. réconcilié avec la forêt.
*

*
ça y est.
l’avion a remonté le cours de la nuit.
je suis partie à 15h15 et 10h plus tard il est bientôt 18h30.
le soleil se couche et c’est déjà l’heure d’aller boire un verre.
ça y est.
la boucle de cette note est enfin bouclée.
dernière éthique de la fin : un jour arrêter de se perdre à penser.
j’ai perdu bien trop d’heures à écrire et à mettre en ordre ce dédale qui était à l’image de trois semaines chaotiques.
ça valait pas vraiment le coup.
j’aurais pu faire à la place des vocaux à mes amis pour leur raconter ma vie.
tant pis.
c’est comme ça.
comme il dit : la vie d’artiste, encore et toujours.
*

Chère, inconnue, dont j’ai lu les lignes, deviné les creux, j’ose effleurer votre main, celle qui se crispe, peut-être ? dans l’ombre de vos rires frais.
En novembre, elle lissait une peinture d’homme-collage. En avril, elle en a froissé les boucles fières, et détaché, un à un, les pétales du « bleu », tu sais ? celui-là juste sous le sourcil.
Oh, mauvaise foi de l’homme, chère, vois son ongle ! rongé, si tenace, mais, qu’importe ! Qu’il triture l’ange, qu’il feule ! Foutu gaucher à fêlures, demeuré, à côté de l’amour.
Sa plume pingre ne sait, plonger dans, ni retenir, que l’encre rouge de lui-même.
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