il y a un deux ans j’avais lu Et si les oeuvres changeaient d’auteur de Pierre Bayard.
dans cet essai, il appliquait à la critique littéraire une méthode amusante : analyser les livres de quelqu’un comme s’ils avaient été écrits par quelqu’un d’autre.
il évoquait entre autres : L’Étranger de Kafka, Autant en emporte le vent de Tolstoï, L’Éthique de Freud, le Cri de Schumann et Alice aux pays des merveilles d’un auteur surréaliste.
à mon tour je m’étais prêtée au jeu et j’avais écrit une critique d’Alice au pays des merveilles de Kafka.
ça donnait quelque chose comme ça :
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« Si on interroge Alice au pays des merveilles comme si l’oeuvre avait été écrite par Kafka, alors nous saute aux yeux un ensemble d’éléments qui dénote avec la fantaisie et la légèreté qui semblent, à première vue, régir le texte. Comme L’Amérique, Alice au pays des merveilles est traversée par une violence, discrète mais non moins réelle, qui tranche, chaque fois, avec la fausse douceur de l’univers onirique qui nous est présenté. Un lapin, une chenille, le sourire d’un chat, une partie de croquet avec des flamands roses, tout pourrait sembler coquet et tranquille.
Mais…
Chacune des scènes de l’œuvre sera l’occasion pour Alice de découvrir la brutalité, parfois l’arbitraire, des habitants de ce nouvel univers. Alice n’est pas d’ici, c’est à elle de s’adapter et d’accepter les traitements qui lui sont infligés ou qu’elle voit infliger à d’autres. À ce propos, la Reine est sans doute la meilleure incarnation de la violence latente, aussi vide en substance qu’omniprésente dans les discours, qui règne dans ces pages : obsédée par le besoin de décapiter tout ce qui bouge, elle est cette force de destruction stupide et le modèle d’un arbitraire abscons (mais en est-il d’autre ?).
Et, si la violence d’Alice est évidemment moindre que celle d’un Château, le point de conjonction véritable entre Lewis Carroll et Kafka réside dans la passivité et la résignation qui traversent leurs personnages. Passivité surtout dans l’acceptation des situations données, car malgré l’invraisemblance des événements auxquels elle assiste, Alice ne cesse d’y donner un assentiment logique et moral : si cela est, c’est que cela doit être, semble-t-elle toujours dire – cela doit exister, et surtout, cela doit être ce qui est juste ; que l’on malmène un loir, un flamand rose, ou sa propre personne. »
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voilà, j’aimais bien ce jeu : faire changer les oeuvres d’auteur.
si un jour un livre à moi existe, j’adorerais qu’on lui applique ce procédé.
c’est aussi pour ça que j’aime les collaborations, pour ça peut-être que j’aime peut-être plus les Saisons de Camille Ruiz que les miennes.
bref, tout ça pour dire que j’ai repensé à tout ça en lisant Boue d’Antoine Emaz. j’ai trouvé dans ce recueil un poème qui avait l’air d’avoir été écrit par Thierry Metz.
alors j’ai repensé à cet exercice et à la critique littéraire.
et je me suis dit que je pourrais partager quelques textes ici.
alors voilà le poème en question :

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l’histoire des visages à la lisière de l’oeil, visages toujours à faire, par l’oeil, ou par celui qui porte le visage, la dérive du corps aussi qui se laisse faire, se laisse être, se laisse tout court, la passivité donc, mais rappeler malgré tout à l’ordre par ce visage à faire. voilà, ça m’y a fait penser.
pour finir de s’en convaincre, ou plutôt pour le simple plaisir de la lecture, voici deux autres poèmes, d’Emaz d’abord, et de Metz, ensuite :




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voilà c’est déjà tout.
je finirai comme je fais souvent dans mes poèmes avec une question qui est venue de ces lectures : si les visages changeaient de nuit porteraient-ils toujours le même drame ?
je vous laisse y songer.
ps : j’ai publié il y a quelques jours une critique collée d’Extraction de la pierre de folie de Pizarnik. je l’ai appelée : il y a du vent dans le miroir.