la bouche

avant le mont Borrel, j’ai raté la fin du soleil, j’ai marché au début du dernier quart de la lune, j’ai pensé à la boue dans ma tête, sans lumière au crépuscule je n’ai pas pu écrire dans mon journal comme je l’aurais voulu, j’ai fait mine que c’était naturel (car je suis une poète moderne) et j’ai pris mon iPhone pour noter :

« la passion m’a mangée pendant l’été entier et pour ne pas finir par n’être plus qu’une bouche en train d’être mangée, j’ai décidé à l’automne venu de retourner ma bouche contre la passion elle-même et à mon tour de la manger toute entière. »

en partant de cette fin de soleil ratée, j’ai traîné entre chien et loup, plus eu peur des premiers que des autres, même si pour être honnête, j’entends une branche craquer et voici devant moi dans ma tête la meute les crocs dressés. j’ai toujours eu peur des meutes, toujours eu peur des groupes. toujours la même histoire : manger ou se faire manger sans rien dire tout l’été. moi je ne mange pas les chiffres, pas le pluriel, juste le singulier. c’est sûrement pour ça la passion, les poèmes.

pendant la redescente, j’ai pensé à ce qu’il reste de soi quand la passion vous prend les bras et la bouche. Ernaux voit ça comme un luxe la passion. j’ai lu Passion simple cet été pour comprendre. pas compris. j’y vois toujours des chaînes sur nos pas, des chaînes et une bouche qui m’avale toute entière.

j’ai pensé aussi à ces vers collés il y a peu : « rouage du ciel / je n’ai jamais su / être nuage // mes eaux ne tendent qu’aux choses // pour des yeux différents / j’avalerais ma bouche ». avaler ma bouche moi-même. ça a presque l’air d’être une solution mais c’est le même problème : « crypter mes lèvres » (dit dans un autre poème) ne dure qu’un instant. de même qu’avaler ma bouche ne m’en rendrait la maîtresse que pour mieux avouer (avaler?) un beau jour ma défaite.

j’ai été contente de moi l’espace de quelques pas car j’ai pensé à ma nouvelle série de poèmes. après des mois et des mois sans rien vraiment composer, j’ai l’impression d’avoir retrouvé des mots à coller. c’est la bouche qui me dicte tout. ça s’appelle peut-être pour le moment défaite du silence. c’est une série sur le corps, sur l’amour, sur la bouche. j’en ferai peut-être un petit livret qui reprendrait ces poèmes, avec à l’intérieur, des interludes composées en découpant et collant un numéro de Chobix.

Chobix c’est une revue porno. c’est assez marrant de composer avec ça. après le développement personnel, je m’attaque avec mes ciseaux à un nouveau fléau et j’en fais comme toujours des poèmes sentimentaux – « c’est comme ça que l’on aime : / simplement un petit moment / après on fait semblant // on est tous pareils // il est impossible / d’assouvir le ciel / quand il s’agit d’étoiles ».

*

j’ai marché sur la route dans la nuit, ma frontale et ma peur des loups et des bouches sur la tête. j’ai encore pensé à la passion, à la poésie, à si elles sont soeurs ou ennemies.

en rentrant chez moi, j’ai fini Jenny de Sigrid Undset dans lequel la passion c’est la mort de l’art, de la femme, j’ai essayé de pas trop m’en formaliser. j’ai pensé une dernière fois à la bouche et j’ai noté toujours sur mon iPhone avant de m’endormir :

« entre nous, mangera bien qui mangera la dernière ».

*

Marina Abramovic & Ulay, Breathing In / Breathing Out (Death Itself) (1977)

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