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la dernière fois, je parlais du dehors, je parlais de l’ouvert.
ces questions occupent mon esprit.
j’ai envie de trouver cet endroit où le dedans ne se distingue plus du dehors.
j’ai envie de fondre le chemin dans sa verticale.
je ne veux plus connaître la différence entre le visible et l’invisible. je veux ne jamais l’avoir connue.
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« À l’opposition olympienne des dieux et des mortels, l’orphisme réplique par l’identification, au sein même de la création, d’une scission entre l’élément divin et l’élément mortel, entre l’âme et le corps, dont la résolution requiert une identité de l’âme à elle-même et donc la sortie hors du cycle de la vie et de la mort. »
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je veux faire corps d’avoir fait âme assez fort. et inversement.
je veux qu’une goutte de temps se détache et tombe sur ma joue.
et qu’en elle il y ait la vérité d’une autre vérité que celle que nous connaissons ici.
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au Moyen-Age, les théologiens méditaient sur la nature du corps des ressuscités et se demandaient : est-ce les corps des ressuscités auront des intestins au paradis ? ils réfléchissaient : y aura-t-il une place pour la digestion dans l’éternité ?
il a fallu attendre Thomas d’Aquin pour trancher : après la résurrection, manger, boire, engendrer et dormir disparaîtront. ne restera que la vie contemplative. et donc pas d’intestins.
je suis tiraillée entre le doute et l’envie. j’aimerais croire qu’une vie contemplative, de surcroît éternelle, pourrait m’apporter une quelconque satisfaction. mais j’en doute si fort que je vois des intestins partout dans le ciel.
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pour mieux les connaître, on devrait demander aux gens que l’on rencontre : et toi, quelle est ta vision de la béatitude ? c’est comment au paradis selon toi ? des ongles ? des rêves ? ou juste de la pensée qui plane ?
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« C’est bien cela qu’on appelle destin : être en face et rien d’autre, toujours en face. »
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et après « quelle est ta béatitude ? », deuxième question : « de quoi es-tu en face ? ».
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« Uexküll commence par distinguer avec soin l’Umgebung, l’espace objectif où nous voyons se mouvoir un être vivant, de l’Umwelt, le monde environnant, qui est constitué d’une série plus ou moins large d’éléments qu’il appelle « porteurs de signification » (Bedeutungsträger) ou de « marques » (Merkmalträger), qui sont les seuls qui intéressent l’animal. »
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« c’est toujours nous contre nous-mêmes. »
peut-être que je ne suis en face que de moi-même. et que c’est là le problème.
je ne me fonds qu’en moi.
d’abord s’ouvrir. puis se fondre.
se fondre d’ouvrir.
et alors arrivera le croisement, c’est-à-dire le début de la sphère.
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le rayon gris perce les arbres nus.
partir comme je respire : mal.
la vie me paraît loin précisément parce que je suis en son centre.
une pulsation n’a pas d’odeur.
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« je n’y étais pas. »
mais où étais-je alors ? et qui était là à ma place ? qui disait ? qui faisait ? et qu’avait-ielle fait de moi ?
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j’ouvre.
les choses se mélangent et je commence à y voir mon reflet.
c’est en lui qu’il y a tout ce qui n’est pas moi mais qui le devient quand même, précisément parce qu’il n’est pas moi.
le devient parce que la sphère se rapproche.
j’ouvre et commence à comprendre : un croisement n’a pas d’angle.
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« quiconque se rapporte à l’horizon de sa propre finitude cesse d’être gouvernable ».
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peu importe qu’il y ait ou non des intestins au paradis.
ce qui importe est la fin.
et la densité de ce qu’il y aura eu avant elle.
ouvrir pour partir comme on a vécu : intensément.