le silence le caillou la forêt

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qu’est-ce qui résiste quand tout s’écroule ? qu’est-ce qui tient ? 

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c’est dans le silence que s’établît la confiance. 

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c’est peut-être ça qui tient quand tout s’écroule : le silence. 

le travail consiste alors à s’y plonger en entier. s’abandonner au silence. et voir qu’à l’intérieur il y a quelque chose plutôt que rien. 

quelque chose qui est peut-être le souffle. ou au moins un. 

un souffle qui est silence – et donc confiance. 

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« tu sais j’ai appris à dormir trop près du soleil » – collé cet été. 

désormais : apprendre à dormir dans l’obscurité. 

apprendre à dormir pour apprendre à aimer. 

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je le sais. 

si quelqu’un un jour dans ma vie, alors quelqu’un qui prend autant d’espace que moi. 

c’est à dire : l’espace tout entier. 

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le fait d’avoir des mots découpés qui traînent toujours partout donne parfois naissance à des moments cocasses : par exemple, un mot tombé par terre donnant soudain un sens précis à une situation donnée.  

aujourd’hui moment cocasse. 

je nettoyais ma poubelle dans ma douche –la vie est faite de choses triviales. 

un mot était collé sur les parois de la poubelle. 

je le détache avec le jet et découvre qu’il s’agissait (car désormais mouillé, souillé, bientôt déchiré) du mot « nous ». 

« nous » à la poubelle sauvé, lavé pour mieux être détruit, abandonné dans les conduits. 

aujourd’hui moment cocasse.

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une amie m’apprend qu’elle va travailler pour le compte OnlyFans d’une modèle – comprenez : modèle porno d’un genre nouveau.  

son travail consistera à discuter avec les hommes abonnés au compte et à les inciter, discrètement, à acheter du contenu payant (autrement dit : des vidéos érotiques plus ou moins personnalisées).

elle m’apprend que l’un des abonnés est constamment en demande de messages : dès que la modèle (qui est en fait, vous l’aurez compris, une autre personne, spécialement payée pour cela) cesse de répondre à ses messages, il s’inquiète.

il entretient vraisemblablement des dizaines de « relations » avec des modèles à qui il demande sans cesse des messages. 

elle me raconte tout ça un peu amusée et je me demande : dans quelle solitude faut-il vivre pour avoir besoin de payer des modèles d’un porno 2.0 pour entendre son téléphone vibrer et avoir l’illusion d’avoir des gens dans sa vie ? 

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il n’y a que le corps qui perçoive le mystère. l’esprit ne sait que savoir. 

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je récupère ma vie, la prends entre les mains, la caresse. elle ronronne. 

je repense à des vers collés au début de l’hiver : 

« ma vie comment as-tu rencontrée ma vie ? ». 

et me demande : et moi comment l’ai-je rencontrée ? 

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une chose est sure : je l’ai rencontrée récemment. 

avant, il n’y avait pas encore de début. 

il n’y avait que la fin. 

alors, pour fêter ça, j’ai collé dans mon dernier poème :

« tu veux créer comme se fait la vie : / à partir du milieu »

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« la sensation est l’âme du monde ». 

pensé à ça hier pendant que mon esprit flottait : l’ipséité est peau.

personne ne pourra jamais savoir ce que ça fait d’habiter sous ma peau. l’esprit se devine mais la chair reste secrète. 

la sensation est l’âme du monde et la peau l’âme du moi. 

elle y glisse comme un serpent. elle s’y répand comme une source sous une pierre : tout en silence et tout en mouvement.

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avec ma peau hier, j’ai descendu à ski la vallée blanche.

la vallée blanche, c’est un long hors piste sur des glaciers.

j’ai fait ça avec ma peau qui est la même qu’on disait condamnée à souffrir pour toujours. la même peau figée dans le cercle d’une douleur trop chronique pour laisser respirer, pour connaître le silence. 

ma peau.

j’en aurais pleuré.  

ipséité de la peau : possibilité. 

j’ai fait ça pour ma peau et pour ceux qui sont là-haut.

c’était beau.

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« Elle parle à l’air et non pas à elle-même ». 

voilà ce que je fais ici. 

je parle à l’air parce que j’ai peur du vent. 

je couvre le silence pour oublier que souvent je n’ai pas confiance. 

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« dans les interstices de la matière primordiale se trouve la ligne de mystère et de feu qui est la respiration du monde, et la respiration continue du monde est ce que nous entendons et appelons silence. » 

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parfois je suis tellement heureuse que ça me rend triste.

ça je le savais déjà. 

ce soir, je viens de découvrir que je peux aussi ressentir de la joie si je suis suffisamment triste pour cela. 

un sentiment devient son contraire si on le pousse suffisamment loin. 

c’est intéressant.

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« une chose est libre d’aller du moment qu’elle n’est pas captive de la pensée. ». 

j’ai mis un poème en son il y a quelques semaines. 

il s’appelle aller. 

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le caillou est chaud. 

je fais la sieste sur le caillou et je tombe à l’intérieur. 

le caillou est le ventre de ma mère. 

le caillou est l’image de tout ce qui m’effraie : l’origine et le rien après. 

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on dit je t’aime quand on s’aime, quand on boit, quand on espère. 

on dit je t’aime en espagnol, on dit je t’aime en toutes les langues, on dit je t’aime pour les cailloux qui n’auront jamais des yeux la lueur et du cœur ces mots qu’on se jette comme des déclarations de guerre.   

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je la regarde par terre.

est-ce qu’à force d’être une épine elle pourra se faire bourgeon ? 

tout le cycle de la vie me renvoie à cette idée qui m’obsède ces derniers temps : il faut aller au bout pour basculer de l’autre côté. 

comme d’habitude, j’essaie de me rassurer : si plus tard je vais au bout de ce que sera la mort, peut-être qu’à nouveau il y aura la vie. 

l’épine tombe et une autre pousse à la place. 

j’ai dit la vie et non pas ma vie

même avec sa propre existence, il faut refuser toute appropriation.

« avoir c’est mourir » et c’est le cas pour tout. 

tout nous a été prêté et tout nous sera repris. tout y compris nous-mêmes. 

peut-être pour mieux recommencer, peut-être pour simplement finir comme une épine sur un rocher. 

comme toujours, qu’une seule chose de sûre : peut-être. 

*

« je veux mourir en vie. » 

ça aussi, c’est une chose de sûre. 

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je parle d’épines car les épines me viennent alors que nous sommes en plein février. 

il a fait presque dix degrés, il a fait presque fin des glaciers. 

quand on aura fini de faire de la Terre une épine par terre, pourra-t-elle à nouveau se faire bourgeon ?

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j’ai passé trop longtemps éloignée de la forêt. 

il y a un an je disais : « parfois la forêt doit bruler pour renaître / parfois j’ai pleuré sans les yeux ».

j’ai appris peu à peu à me regénérer autrement. 

je brule mais avec légèreté. j’aimerais même croire que plutôt que bruler, maintenant je m’approche de briller, que le feu s’est changé en lumière, que le rêve m’a pris par les pieds. 

ça serait surement beaucoup dire, c’est vrai. 

alors, plus modestement, un an après avoir écrit ça, je peux simplement dire aujourd’hui : j’ai arrêté de pleurer sans les yeux. 

ça serait plus près de la vérité et c’est quand même pas pire.

me revient un proverbe anglais qu’on m’a appris récemment : if it’s not broken, don’t fix it.

je reformule : la forêt doit parfois simplement pousser.

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