toi

la mort ne met pas fin au lien. 

ce qui veut dire : la fin n’est pas la fin.

et donc : la fin n’existe pas.

un jour, j’ai emporté d’un monastère une prière qui résonnait avec ce que je m’apprêtais à vivre sans le savoir mais tout en m’en doutant : une mort de plus à affronter.

cette prière que je relis souvent depuis disait : « on croit que la mort est une absence quand elle est une présence secrète. on croit qu’elle crée une infinie distance alors qu’elle supprime toute distance en ramenant à l’esprit ce qui était dans la chair. ».

moi, contrairement aux chrétiens, je n’ai rien contre la chair. mais c’est vrai que je dois leur accorder que la présence de l’esprit a quelque chose de plus beau et surtout de plus fort que celle de la chair.

je crois que la fois où j’ai le plus aimé (ce qui veut dire avec le plus de vérité) c’était précisément lorsque la distance et le silence m’étaient imposés.

c’est là que j’ai découvert que pour l’amour non plus la fin n’est pas une fin.

j’aimais dans l’absence de l’être aimé. c’était comme aimer de la lumière. c’était pur, ce qui veut dire : triste et doux.

je passe de la mort à l’amour comme si de rien était, comme si c’était normal. d’une obsession à une autre.

mais je crois qu’au delà de mes obsessions à moi, il y a quelque chose en elleux de très commun.

quelque chose qui tient à la permanence du lien par delà la fin.

*

« Le printemps, comme l’amour, est dangereux. Et l’amour survit aux amants. »

*

quelque chose comme ça.


j’ai de la peine pour tous les bourgeons qui sont déjà sortis. il y aura bien une nuit où le gel les prendra. c’est prévisible comme la sécheresse qui viendra cet été.

j’ai de la peine pour les bourgeons mais eux n’en auront pas pour moi quand le gel me prendra les pensées que tu as pour le moment pour moi.

ils seront sûrement morts d’ici là (ou ils seront des fleurs, ce qui revient au même) mais pour qu’ils existent encore je penserai à eux même si toi peut-être plus à moi.

le changement de saison toujours m’attriste un peu.

j’aimerais te dire : aime-moi même au soleil stp, moi je t’aimerai même si des ailes poussent dans tes yeux.

*

« L’extase est éclair et l’amour apparition, de ce fait il est disparition. »

*

l’évidence rassure.

on ne pourra jamais ne pas s’être connus comme on ne pourra jamais ne pas avoir vécu. 

c’est le seul jamais qui me convienne : celui qui dit que ce qui a été le sera pour toujours.

l’instant est notre seule éternité car dès qu’il est il a été.

en fait, l’irrévocable est paradoxalement un moyen de conjurer mon anxiété : c’est parce qu’il s’éternise que le passé peut me permettre d’aller vers l’avenir.

peu importe si la Terre n’est plus quand le soleil en aura fini de briller.

elle aura été et c’est déjà assez. 

de même que nos amours. et tous ceux qui ne sont plus.

ce qui serait dommage serait de n’avoir pas été.

car une fois qu’on l’est tout est éternité.

peu importe si tout s’arrête dans une semaine.

ça aura été.

que ce soit pour une seconde ou pour dix vies. cela n’importe pas.

ça aura été et ça nous survivra.

avec ou sans la Terre.

avec ou sans nos mains. 

ça sera là où gisent pour l’éternité les choses qui ont été.

les méduses par exemple.

*

« Elle pense à la renaissance sans avoir besoin de mourir. La vie c’est toujours (dit-elle, écrit-elle) la vague à venir. »

*

les citations de cette note sont d’Etel Adnan. celles de la note précédente étaient de Clarice Lispector.

rien n’est jamais prémédité mais tout résonne toujours si fort.

c’est le cas, par exemple, de l’image de « la renaissance sans avoir à mourir » avec mon histoire de forêt de la semaine passée : renaître sans mourir et pousser sans brûler.

*

tu dis : la beauté c’est ce qui donne de la joie.

et je pense : je n’ai jamais entendu de définition plus juste de la beauté.

ça a même été performatif : quand tu as dit ça, j’ai senti de la joie.

je me demande si c’est parce qu’en le disant tu étais beau comme tu l’es tout le temps ou si parce que la vérité aussi peut donner de la joie. 

*

cette même prière disait aussi plus loin : « plus il y a d’êtres qui ont quitté le foyer, plus les survivants ont d’attaches célestes. ».

la relire me ramène à des vers collés il y a maintenant – c’est si vite arrivé – plusieurs années : « cent ans après on dit encore : / « le ciel est à elle mais en elle tout est monde » ».

tout est monde parce que rien n’est donné ici-bas et tout peut nous tromper mais le ciel est à moi car vous y êtes si nombreux que j’en perds parfois les yeux.

*

je me souviens qu’en arrivant ici, j’ai lu quelques-uns des classiques de la littérature de montagne. 

en découvrant ces récits, j’étais frappée d’y retrouver certaines des idées caractéristiques d’un type de littérature que je connaissais bien : les journaux d’écrivain(e)s.

j’y retrouvais, entre autres, l’idée d’une vocation devant laquelle la vie devait s’écraser (ici au sens littéral). d’une existence consacrée à regarder la mort dans les yeux. d’une pratique faussement insignifiante autour de laquelle axer son temps.  

Les Conquérants de l’inutile

c’est le titre d’un de ces livres mais ça pourrait être celui d’un manifeste d’avant-garde.

à l’époque, j’avais envie d’écrire sur ce parallèle.

je venais d’arriver ici. c’était il y un an déjà.

ça m’est passé aussi vite que le besoin de m’excuser d’être venue ici : c’est-à-dire pas si vite que ça. mais ça m’est passé.

ce qui est resté en revanche c’est la certitude que la montagne, comme espace et comme pratique, est à l’image de beaucoup de choses dans ma vie, notamment les plus importantes : l’écriture d’abord et l’amour ensuite. oui, ce n’est pas un hasard si une multitude de hasards m’a conduite ici.

pour l’écriture, le parallèle est simple : par mon travail, moi aussi je veux devancer la mort en l’ayant suffisamment pensé avant qu’elle ne pense à moi. je veux l’avoir comprise avant qu’elle ne me prenne.

parfois quand je réfléchis à elle, moi aussi je pense un peu comme ça : « Je me sentais prêt à combattre la mort, à l’affronter. Il ne s’agissait plus d’une horrible chose qui viendrait me saisir sournoisement. Elle se tenait à mes côtés, aussi présente et tangible que ma jambe brisée ou mes doigts gelés ; elle ne m’effrayait plus. ».

dans ces moments d’introspection vertigineuse, c’est mon esprit et non ma jambe que je vois se briser et mes doigts sont tout aussi gelés que s’il neigeait. 

c’est peut-être aussi pour ça que je veux faire de la montagne. pour doubler l’affrontement et mes chances de la devancer. (maman si tu lis ça, ce n’est qu’à moitié vrai).

pour l’amour, le parallèle est aussi assez simple : je veux pratiquer l’amour comme la montagne, c’est-à-dire en choisissant sciemment de m’infliger une souffrance qui fait sens pour moi : ensenser (à défaut d’encenser) une douleur qui me permet voir de près tous les sommets et toutes nos libertés s’entrechoquer.

là aussi la raison n’est pas très compliquée : c’est d’abord pour mieux l’intégrer (quand la souffrance vient d’ailleurs que d’un choix, elle est plus difficile à avaler) et aussi et surtout pour pouvoir aller là où peu sont capables d’aller. sentir le privilège que me confère une souffrance qu’il m’est possible d’oublier rien qu’en levant les yeux, sur eux ou sur toi.

je choisis cette façon d’aimer comme je choisis de mettre mon vertige sur le bord d’un rocher : avec la volonté de remplacer la peur par toute la confiance qu’un corps puisse porter. 

je veux aimer comme galoper sur ces sommets : en acceptant l’idée qu’à certains moments j’aurai peut-être envie d’abandonner mais en ayant la certitude que ce qui est en train d’être fait est la seule chose qui soit à l’image de ma vie – toujours au bord du vide mais quand même florissante.

*

« On passe toute une vie à l’aimer parce qu’on ne peut pas changer le monde. »

elle le dit de la mer, je le pense de la montagne.

*

deux jours d’affilée où un autre 13 était ajouté au 13 miroir des heures. 

mercredi, j’avais 13% de batterie quand j’ai vu 13:13 sur mon téléphone et aujourd’hui ma voiture affichait 13 degrés quand j’ai vu 13:13 sur le poste radio.

qu’on ose me parler de hasard.

c’est l’arcane sans nom, la carte de la Mort.

en pleine réflexion sur ce qu’est la fin, ce n’est pas anodin.

j’essaie de me dire : c’est la carte du changement et de la renaissance, c’est la mue du serpent.

peut-être que c’est ce dont j’écris depuis plusieurs notes : la mue d’une moi en une autre animale.

*

« Adhérer à sa propre peau, est-ce là le seul principe de la vie ? »

*


mais si j’en change à cause de ma batterie ou de la température qu’affiche ma voiture, comment y adhérer ? si tout change, si tout mue et si tout meurt par la peau, n’a-t-on pas mieux à nous proposer ? 

une envie par exemple d’aller par les rêves retrouver ses pieds ? ou peut-être le contraire ?

*

aujourd’hui, j’ai beaucoup pensé à toi.

je ne sais pas si je publierai ça.

j’aurais voulu t’écrire.

j’avais besoin de dire.

alors, je l’ai dit aux autres.

j’ai dit : « je suis amoureuse. et je l’étais avant même que ça ait commencé. et je le serai après même que ça soit fini. ».

ils ont dit : « c’est beau ce que tu dis. »

et j’ai pensé : « alors ça vous donne de la joie ? ». 

je n’avais pas le droit de parler ou d’écrire car j’ai noté hier soir que l’amour est plus beau et plus vrai dans l’absence que dans la présence.

je me suis efforcée d’y croire et donc j’y ai cru : tu étais avec moi toute la journée.

*

ton ami dit : « merci la vie c’est beau la vie ».

et j’arrive enfin à l’accepter : even if it lasts an hour.

générique.

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