les notes s’accumulent.
j’ai trouvé une façon d’écrire qui correspond à mon rythme : diffracté.
j’emploie ce terme sans être sûre de ce qu’il signifie.
je vérifie : dont la direction a été déviée.
pas sûre que mon rythme ait déjà eu une direction dont il aurait pu dévier.
alors, probablement pas le terme le plus approprié.
plus juste peut-être : saccadé.
qui est irrégulier et brusque.
c’est tout moi.
la Garonne est si basse que ses profondeurs sont à la surface : ça aussi, c’est tout moi.
elle est à fleur de peu : appréciez la nuance.
les mouettes et moi prenons le soleil.
les mouettes et moi sommes trop pudiques pour nous dire que l’on s’aime mais le sourire aux lèvres quand même et les ailes autour de ses retrouvailles imprévues qui réchauffent l’hiver.
les mouettes sont mes amis : nous nous aimons discrètement quoi qu’en riant très fort.
je les aime plus que le ciel.
hier en parlant avec Marie, échange de messages isolés, tard dans ma nuit, tôt dans sa journée, mais toutes les deux ivres ou probablement défoncées, nous nous disions comme se diraient des mouettes : « je suis tellement contente de partir avec toi », et moi d’ajouter « c’est exactement ce que je me disais ».
comme avec les autres, nous nous aimons par nos rires.
on se dit : « je suis tellement contente » et pour nous ça veut dire : « tu es si essentielle à ma vie ».
je l’aime plus que le ciel.
la musique m’envolait – hockets for two voices : un album à se percher très haut – et je me disais : nos amitiés ont aussi le droit d’être romantisées. nos amitiés méritent plus de place car elles sont souvent nos plus belles histoires.
et pourtant, c’est si dur de le dire.
je repense à une histoire entendue dans Un podcast à soi à propos de deux amies qui se sont mariées ensemble pour célébrer leur amitié.
c’est une belle anecdote.
Marie, voudrais-tu m’épouser ?
*
je suis censée travailler mais je sais qu’aujourd’hui je vais trainer, lire et écrire. (Juliette si tu lis ça, ce n’est qu’à moitié vrai).
je suis une enfant Tanner : j’aime le temps volé à la vie, j’aime marcher et j’aime le rêve de projet qui sont comme cet oiseau qui écarte ses ailes au soleil : la possibilité d’un envol qui se contente de l’idée de voler.
*
je passe du carnet à l’écran, je passe d’un pas à un autre. est-ce que le support change l’écrit ? est-ce que la parole est comme les territoires que j’habite : interchangeables ?
je commence à voir le piège de ce journal numérique : mon besoin d’écrire y est satisfait. mon besoin d’immédiateté aussi.
écriture du caprice : et le long terme peine à se faire.
j’y trouve une gratuité et un plaisir très différents de ce que j’obtenais dans les autres façons d’écrire et de composer.
moins de sérieux, moins de poids : la légèreté y est enfin soutenable.
pourtant, je donnerais beaucoup pour écrire un poème aujourd’hui. mais ça n’arrivera pas. j’ai trop besoin de traîner.
c’est comme ça parfois.
*
j’aime les visages de cette ville. j’aime son air. j’aime ses ponts.
j’aime y être et surtout ne pas y être.
j’aime aimer de loin.
dans l’église de la Daurade, il y a une vierge noire et une peinture où Jésus vole sur un aigle qui paraît en colère. il y a trop de peinture pour prier et l’orgue a probablement trop tuyaux pour pouvoir nous comprendre.
j’ouvre une parenthèse : prier, ça veut simplement dire dire merci. pas grand chose à voir avec un aigle en colère. fin de la parenthèse.
avant je mettais des bougies pour l’aider à monter. maintenant qu’il l’est, je me contente de regarder les bougies.
au début, je pleurais. puis j’ai appris à reconstituer ce qui restait de moi. des lambeaux et l’envie de m’en faire à nouveau une peau. je pleure un peu moins désormais.
je tombe pour la huitième fois depuis le début.
j’écris dans l’église, c’est deux fois une prière – même sans dire merci.
les mots résonnent fort dans ma tête. il y a de l’echo.
tout se souvient : l’année dernière à la même époque, l’esprit n’avait pas fiere allure. c’était le début de la chute. c’était la septième fois.
*
misère de voir toujours les mêmes mendiants, toujours aux mêmes endroits. les mêmes errants pour qui rien ne change jamais si ce n’est qu’ils sont maintenant rejoints par de plus en plus d’autres qu’eux.
vu un vieux comme ça en rentrant hier soir. vu dans ses yeux qu’il n’était pas là depuis bien longtemps. vu dans ses yeux ses excuses d’être là, d’être pauvre, d’être vieux.
à coup sûr : des images à crever sur le trottoir avec lui. déchiré par la misère désolée d’exister. à la différence près que pour lui crever là ce n’est pas une image. c’est une possibilité.
on a perdu quand on a accepté que des gens puissent dormir ici. on a perdu quand on a continué de marcher. quand on s’est dit qu’en disant « ça va quand même pour vous ? » c’était déjà assez.
t’as pas une place sur ton canapé ? t’as pas un kebab à partager ?
on a perdu.
toujours les mêmes mendiants, les mêmes errants et moi toujours la même quand je suis dans ces rues : toujours aussi paumée et incapable de tenir un regard, une idée.
*
j’ai lu L’Amitié d’Agamben à Ombres Blanches – 5€ pour 30 pages, faut pas non plus déconner, ça se feuillette, ça s’achète pas.
de plus en plus, je m’amuse des philosophes : la misologie qui m’habite n’est jamais bien loin.
il y dit : « l’ami n’est pas un autre moi, mais une altérité immanente dans la mêmeté, un devenir autre du même ».
c’est beaucoup de bruit pour une idée qui paraît séduisante mais qui n’effleure pas les pattes des canards qui nagent devant moi ; une idée séduisante mais qui n’effleure pas la profondeur et la réalité de la demande précédente : ami(e), voudrais-tu m’épouser ?
*
le mot qui correspond à ma vie comme à ces notes est assez évident, c’est le mot fragmentaire.
*
dans un an j’arrête mon travail et je me remets à écrire pour de vrai.
il faut qu’un livre sorte. il faut mon nom sur une couverture. il faut que ça marche. c’est une question de survie égotique.
est-ce que ces notes iront quelque part ? est-ce qu’elles préparent quelque chose ? est-ce qu’elles sont un travail exploratoire ? finalement : est-ce qu’elles sont un moyen ou leur propre fin ?
difficile à dire. la seule chose qui compte est qu’elles me comblent pour le moment.
sa psy a dit à une amie : il faut vous laisser vivre.
j’imagine qu’elle me dirait à moi : et vous, vous laisser écrire.
plus tard viendra la condensation. les idées s’agglutineront et elles feront corps. corps et confiance à la fois.
alors tout sera à défaire. il faudra remettre de l’air entre les murs et du feu sous la peau.
*
il y a peut-être trop de substances qui tournent dans ma tête.
je me sens parfois à nouveau trop souvent claustrophobe en moi-même.
qui agit sur le psychisme.
j’ai perdu deux fois la vue en huit jours.
un site internet qui explique le principe de la migraine ophtalmique la définit comme « un orage vaso-moteur ».
je retiens : la migraine est un orage à moteur.
j’ai perdu deux fois la vue en huit jours, ce qui veut dire : j’ai perdu la confiance en mon corps.
je m’y sens à l’étroit.
comment pourrait-il un jour fabriquer un humain fonctionnel ?
j’ai perdu la confiance mais pas la vitalité.
Nietzsche, comme ma misologie, n’est jamais bien loin : c’est ma grande santé à moi, quitte à finir moi aussi par perdre la raison à 45 ans en pleurant sur le flanc d’un cheval maltraité.
ça m’irait si bien. ça pourrait même avoir l’air de ma folie-totem.
*
depuis que mon genou est bleu, mes racines vont mieux : elles ont appris à pousser sur le côté.
*
et toi qui n’apparais pas, mais qui n’est pourtant pas bien loin, es-tu aussi mon ami ? le deviendras-tu ? un statut peut-il en cacher un autre ? peut-il en chasser un autre ?
j’ai des rêves d’unité et d’amour-amitié et l’envie de tout vivre à la fois.
mais tu le sais déjà : chaque chose en son temps et chaque rêve à sa place.
*

*
je m’apprends à vivre en me rappelant ce que je disais déjà dans la note précédente : tout finit par passer, tout sauf ce qui a été. ça, restera à jamais.
alors, je m’apprends à vivre de telle sorte que ce qui sera à jamais ait l’allure suffisante pour briller pendant l’éternité : l’allure d’une danse le sourire aux lèvres, une baignade sous la lune qui ressemble au soleil et sous des nuages stellaires le vol d’un oiseau qui ressemble à mon rêve.
je m’apprends à vivre de telle sorte que le vent ait enfin un visage soutenable : celui des amis, des amis et des amours aussi – comme elle, moi aussi je veux faire du vent des visages pliés et des objets découpés que je pourrais aimer.
quand j’aurai réussi, il n’y aura plus alors qu’à filmer le ciel.
et comme d’habitude : tout sera à défaire.