would you rather be a fish ?

avant toute chose, petit disclaimer : cette note sera la dernière à être aussi personnelle et à être aussi adressée (l’adresse, ça vaut pour la deuxième partie).

enfin, j’espère. j’y crois à moitié quand je le dis. mais je vais essayer. 

au milieu, pour contrebalancer mon étalage de moi, il y aura Paterson de Jim Jarmusch et Paterson de William Carlos Williams (dont sont extraites les citations). en miroir et en guise d’appui à un semblant de réflexion.

histoire de me dire qu’il ne s’agit pas que de moi. mais aussi de poésie. 

si j’avais pas renommé toute cette section « thérapie », je culpabiliserais presque de m’étaler autant. 

mais, peu importe. 

allons-y.  

comme c’est très long, j’ai séparé le tout en deux parties. 

*

Première partie : vie et poésie

*

j’ai dormi l’équivalent d’une nuit mais en trois nuits, parcouru l’équivalent d’un petit pays en deux semaines, fumé l’équivalent d’un petit bouquet toute la journée et bu dansé dansé dansé et bu l’équivalent de mon déséquilibre à la dernière soirée. 

parfois il n’y a rien à dire de spécial.  

on fait comme si on pouvait toujours combler le rien mais souvent il vaudrait mieux se taire.

l’assuétude sonne joliment. 

derrière mon sourire c’est une réalité de plus qui m’effraie. 

*

« Je suis ma propre surface 
         sous laquelle 

est enfouie une jeunesse        
         qui témoigne »

*

j’enfume mon intimité pour qu’elle ait des choses à dire sur ce qui se trouve derrière les murs mous de l’esprit. 

je fais ça comme je vivais avant ma solitude. 

j’aimerais écrire sur la solitude pour pouvoir me la réapproprier. qu’est-ce qu’être seul et qu’est-ce que ça fait à l’esprit et à l’âme de passer tout ce temps seulement seul avec soi. 

j’en suis persuadée : les solitaires ont plus de ressources. ils vont plus au fond du fond de tout. ils sont plus profonds à défaut d’être plus légers. 

je le dis probablement pour me rassurer. pour me réévaluer. pour moins sentir le gouffre entre ce que je suis et ce que j’aimerais être peut-être : un être social parfaitement adapté aux milliards d’interactions qu’une vie doit porter.

quand ai-je arrêté d’être seule ? 

et à qui ai-je vendu mon seul bien précieux ? 

traîtrise à méditer. 

*

réécouter dix fois pour m’en persuader : je suis aimée. 

je veux toujours tenir Eurydice par les yeux. serrer l’amour comme Lennie ses souris. 

j’aime comme on étouffe dans un sac en plastique : par progressive disparition de l’air. 

j’aime comme on vide on épuise. 

pourquoi je fais ça ? et pourquoi j’y crois tellement pas que j’écrase des souris dans mes doigts jusqu’à confondre leur asphyxie avec mon oxygène ? 

ne me laisse pas m’enfermer dans un sac en plastique. 

cette fois : je me parle à moi-même. 

j’ai trop besoin d’oxygène. souviens toi la chanson-poème : il te va si bien, l’oxygène. 

souviens-toi de l’air. 

*

« Visant quel but sinon l’amour, qui fixe la mort dans les yeux ? 

(…)

Chante-moi un chant qui rende la mort tolérable, le chant d’un homme et d’une femme : l’énigme d’un homme
et d’une femme.

Quel langage étanchera notre soif,
quels vents nous emporteront, quels orages nous soulageront
après nos défaites
sinon ceux du chant sinon ceux du chant immortel ? »

*

est-ce qu’on triche en voulant faire sortir la poésie du silence des livres ? 

est-ce qu’on triche en la mettant sur scène ou en musique ? 

est-ce que la poésie est une chose plutôt qu’une autre ? 

et pourquoi serait-elle plus proche du silence que du son ? plus proche du livre que de la scène ? 

est-ce ma guitare ou mon ordi sont comme le monde autour : une traîtrise de plus ? un crachat à la face de nos solitudes ? 

est-ce que l’on cherche des oreilles car il n’y a plus d’yeux pour nous voir ? 

je repense à un vieux poème collé qui finissait comme ça : 

« entendez-vous mon chien ramasser des couleurs ?
il rhabille la maison pour gagner sa vie
quand je pense à lui cela me réjouit

rien à foutre si c’est pas de la poésie »

c’est ça qu’il faut garder en tête : rien à foutre si c’est pas de la poésie. 

pour s’en convaincre, voici une lecture enrichie en sonorités et en images que j’ai faite – moi-même composé la musique et tout ça – hier soir à partir d’un poème collé cet été. 

cool non ? 

*

« Tout ce que je puis dire à propos de moi et des autres réside en ceci, que l’important n’est pas tant de savoir de quelle manière tel individu ment, ou fornique, ni même comment il amasse de l’argent, pourvu que dans ses tripes ne se niche pas un Ponce-Pilate mais un Lazare affamé. »

*

voilà. ce n’est pas la traitrise qui m’a fait quitter l’isolement. 

c’est le feu. 

*

« Les gens sont aveugles, infirmes. Je
crois qu’il veut me tuer, je ne sais pas 
quoi faire : Il vient après minuit, 
je fais semblant de dormir. Il se tient là,
je sens qu’il me regarde, j’ai
peur !

         Qui ? Qui ? Qui ? Quoi ? 
Un soir d’été ? » 

*

j’ai donc regardé Paterson de Jim Jarmusch cette semaine. ça m’a conduit à réfléchir sur la façon dont la poésie prend place au milieu de la vie.

Paterson met en scène un jeune homme, chauffeur de bus et poète, qui s’appelle, comme la ville où il vit, Paterson. 

toutes les scènes où Paterson écrit des poèmes sont des plans superposés (assez kitchs à vrai dire) où l’écriture se superpose à des plans eux-mêmes superposés (appréciez la technicité de mon vocabulaire quand il s’agit de parler cinéma). 

*
la poésie est ou n’est pas quelque chose de particulier.

la poésie est là. au milieu du bus comme du fleuve. 

elle se superpose à toutes les couches dont est faite la vie. 

elle n’efface pas le monde. elle n’efface pas le bruit. 

elle s’insère au milieu. 

plus ou moins discrètement selon la main derrière elle. 

elle peut gueuler comme demander pardon en se faufilant discrètement. 

*

dans le cadre de mon travail, j’ai eu la chance d’inviter Bernard Friot. 

j’aime sa vision d’un communisme qui est maîtrise de son temps. l’idée qu’est communiste celui qui refuse la subordination. que ce n’est pas une histoire partisane. que c’est plutôt un état d’être et de faire quelque chose du fait d’être. 

dans Paterson (le film), la poésie est aussi bien chez celui qui écrit que chez sa compagne qui peint tous les rideaux et tous les tapis de toute la maison. 

comme le communisme de Friot, la poésie y est présentée comme un état d’être et de faire quelque chose du fait d’être. 

quelque chose qui se superpose au reste.

qui n’est pas une activité particulière.

quelque chose de gratuit et d’insubordonné. 

on en revient toujours au même point de départ : d’abord être libre, ensuite le reste. 

il n’y a pas besoin de mots pour être poète, de même qu’il n’y a pas besoin d’idées pour être communiste. il s’agit seulement d’états, parfois à cultiver, parfois plus ou moins donnés, qui veulent dire : je suis libre d’aller, le pas léger, prolétaire de moi-même, menant une vie frugale mais riche de ma seule liberté et de l’envie de la laisser fleurir sur tous les co(i)ns que je croise en riant. 

la liberté part des pieds et irrigue les mains. 

je reformule le point de départ : d’abord le mouvement, puis encore le mouvement et enfin le mouvement. 

*

« Nous ne savons rien et ne saurons jamais rien
         Sinon danser, danser sur une mesure
à contre-point 
         Satyriquement, ce pied tragique. » 

*

la vie est comme une rivière. elle charrie tout ce qu’elle trouve sur son passage avant de jeter indistinctement tout ce tout dans la première mer venue. 

la vie est une rivière et la poésie est une branche portée par et sur la rivière qui peut devenir la rivière elle-même si elle se dilue suffisamment en elle. 

pas besoin d’eau pour être une rivière. 

mais besoin d’une chose qui est la même pour tout : besoin de mouvement. 

*

« En soi, écrire n’est rien; se mettre
en condition d’écrire (c’est là

qu’on est possédé) équivaut à résoudre 90 %
du problème : par la séduction

ou à la force des bras. L’écriture
devrait nous délivrer, nous

délivrer de ce qui, tandis
que nous progressons, devient – un feu,

un feu destructeur. Car l’écriture
vous agresse aussi, et il faut

trouver le moyen de la neutraliser – si possible
à la racine. C’est pourquoi,

pour écrire, faut-il avant tout (à 90 %)
vivre. » 

*

Seconde partie : toi 2

*

je suis allergique à ton absence et plus encore à la présence d’autres que toi. 

je peux arrêter l’une mais pas arrêter l’autre. 

je regarde où tu n’es pas et je vois tous les arbres qui me narguent : ils savent être nombreux et libres. 

moi je n’y arrive pas. 

je suis trop romantique pour être tout à fait libertaire et trop libertaire pour être tout à fait romantique. 

putain, quand savoir dire non relève de l’exploit, il y a encore tellement de barrières à franchir. 

ramène-moi chez moi, j’en ai assez de ta gueule, je veux plus supporter ce regard plein d’envie. tu me dégoûtes. vous tous vous me dégoûtez. ramenez-moi à lui. putain comme je vous hais.

tu vois bien comme souvent en ce moment ça craint. stp reviens. je vais finir par en frapper un. 

*

après deux heures au téléphone, on s’est dit avec Marie : il faut distinguer le sexe de la relation sexuelle. 

pour qu’il y ait relation sexuelle, il faut qu’il y ait relation. sinon c’est du sexe. ça paraît bête dit comme ça. mais la distinction nous semblait importante. 

la relation demande du temps et de l’énergie. 

c’est ça le problème. 

je n’ai pas ça pour les autres. 

est-ce vraiment un problème ? 

je ne crois pas. 

*

ce qui m’intéresse aujourd’hui est de construire. 

une œuvre. des relations. de regarder l’avenir et de lui dire : j’arrive. 

je pense à toutes les relations où j’ai été sans y être. 

la vie va trop vite. 

je n’ai plus de temps à perdre.

ce qui m’intéresse aujourd’hui est de construire. 

pour ça, il faut des bases solides et la certitude que ce qui est en train d’être construit est à même d’abriter tout ce que je suis, dans toutes mes contradictions. 

libertaire et romantique. sociable et solitaire. 

c’est comme ce que je disais sur l’amour et la montagne la dernière fois. ensenser, ensenser. faire que les choses aient du sens. 

je ne veux plus être quelque part sans y être. je ne veux plus être avec quelqu’un sans y être.

je veux pouvoir regarder autour de moi comme autour de toi et pouvoir dire sans mentir : j’arrive. 

*

je pense à ce qui t’est arrivé.

je pense à toute la violence dont est capable la vie. déchaînée d’un coup. 

je pense à ça et j’aimerais te mettre dans une coquille. 

te dire que cette coquille est désormais ton monde. que tu peux t’y déployer en toute sécurité. et que rien ne t’y arrivera plus jamais.

j’aimerais être cette coquille et qu’elle n’ait pas de bords.

j’aimerais que tout ça n’est pas été.

*

la sagesse de ces notes c’est peut-être l’idée que le long terme a besoin d’immédiateté pour se faire. que l’œuvre a besoin de l’épars pour se faire. 

Lucien dit : œuvrer comme ouvrir.  

c’est parfait. j’ouvre, j’ouvre, j’ouvre. 

j’ajoute : ouvrir et être ouverte. retenir dans la note ce qui entre d’avoir laisser ouverte la porte de l’être. laisser passer le moindre courant d’air. puis laisser germer le courant d’être au milieu du reste.

pour les relations : sentir et vouloir. et peut-être aussi dans l’autre sens.

la psy m’avait dit avant qu’on se quitte : n’oubliez pas de sentir. 

les semaines passent si vite. ne pas perdre de temps autrement qu’en le perdant sciemment. ne pas mentir. et surtout : ne pas se mentir. et toujours sentir. sentir. sentir. sentir.

*

le sens est à construire. 

Deleuze. Jankélévitch. 

je n’invente rien. 

mais c’est si différent de le sentir. d’éprouver en soi la vérité d’une idée. 

c’est tellement différent. 

je pense à toi et je me demande si tu l’as déjà vécu.

crois-moi pour ça il faut quitter les livres, même un tout petit peu. il faut sentir avec ses mots à soi. laisser ses idées se faire chair. ça vient vite, crois-moi. après on peut lire à nouveau. 

(ici l’adresse est autre).

*

un de mes poèmes figure dans un manuel scolaire. je le dis pas assez.

il y a mon nom dans le sommaire et tout et tout. 

je n’ai plus le temps pour que ça ne marche pas. 

un an et je ne fais plus que ça. et partir aussi. 

*

deux choses me viennent à la relecture de ces notes. 

1/ quand je dis que je n’y étais pas, ça n’est pas dans le présent mais c’est dans l’avenir. j’étais là dans le présent mais j’étais absente des futurs possibles. aucune projection = je n’étais pas là. c’est tout l’inverse d’avec un autre d’ailleurs. à l’époque, lui comme moi étions incapables d’être présents au présent mais étions seulement là dans nos futurs possibles. que des projections = le présent a gagné, il s’est passé de nous. 

bref. 

ensuite. 

2/ pour sentir il faut avoir confiance. et ça c’est une toute autre histoire. remonter le fil du sentir jusqu’à sa source : le soi tremblant qui n’ose pas dire non, qui n’ose pas dire je ailleurs qu’à l’écrit. qui n’ose pas d’ailleurs dire autre chose qu’une blague pour changer de sujet. se faire confiance. et arriver au point d’avoir un avis à minuit sur l’eau du robinet. 

*

If I give you my time and give you my space 
Know that that shit’s not to waste. 

(…)

If I give you my love and give you my truth
Know that that shit’s just for you.  

générique.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s