partir ou le parasite sacré

je rencontre des gens qui construisent des maisons. 

les gens qui construisent des maisons trouvent ça normal de construire des maisons mais moi je trouve ça fascinant. 

j’ai du mal à m’imaginer construire une maison quand même l’architecture de mes textes est bancale. 

est-ce que quelqu’un qui construit des maisons peut trouver que construire un poème est un fait fascinant ? 

cette question veut dire : combien pèse un poème face à une maison ? 

je regarde mes mains incapables de construire quoi que ce soit, pense aux khmers, les imagine coupées quand soudain : « et toi tu fais quoi dans la vie ? ». 

la tristesse m’aide toujours à trouver le chemin. 

ce sera partir mais en amenant avec moi tout ce que j’aimerais construire donc ça veut dire : la construction devra être mobile. 

c’est l’avantage du poème face à la maison. 

les khmers m’auraient au moins laissé mes pieds. 

hier le vent était si frais qu’on pouvait presque l’attraper. 

demain : y construire les visages que je me fabriquerai. 

pour l’heure ce soir j’ai un visage face planète et me pose deux questions : suis-je trop gentille avec eux c’est-à-dire avec toi – aussi – et pourquoi nos dents – hier amies – sonnaient cette nuit comme des scies ? 

*

le lendemain : on s’aime toujours avec le sourire. 

ça va mieux.

je me demande si les gens dans la rue sont jaloux de voir qu’il existe plus beau qu’eux.

Octavio Paz dit qu’un peuple commence à s’interroger sur lui-même lorsqu’il entre en crise de croissance. il dit ça puis généralise son analyse : l’interrogation est l’être de l’être en crise.

depuis un an que j’ai fini mes Branches des autres, mon écriture est un peuple en crise de croissance. 

depuis un an que j’ai commencé ma déterritorialisation permanente ma conscience de moi-même est un peuple en crise. 

Octavio Paz dit que l’informe guette les peuples en crise.

moi je vois bien que l’informe guette ma conscience et mon écriture. 

c’est normal : je suis un peuple en crise.

Octavio Paz dit que l’informe guette les peuples en crise – et donc Camille Sova – parce qu’ils ont « cessé d’être des sources ». 

j’ai cessé d’être une source car comme d’habitude j’ai continué d’être l’océan. 

pourtant : tout n’est pas perdu.

Octavio Paz veut nous rassurer, nous les peuples en crise : « chaque homme recèle la possibilité d’être, ou plus exactement d’être à nouveau un autre homme ». 

oui. quelque chose peut naître de l’informe. il faut juste remonter le cours de l’eau, repartir du bas vers le haut, puis du haut jusqu’à sous la terre et alors pourra être la source pourra être moi pourra cesser d’être en crise pourra cesser d’être interrogative. 

*

plus loin dans le livre, Octavio Paz dit que les cérémonies et les fêtes au Mexique sont un moyen de communion, de dialogue et d’ouverture. qu’avec elles “le Mexicain” s’ouvre à l’extérieur. 

la Fête ouvre à l’autre. la Fête ouvre par le corps. 

la Fête est peut-être un moyen d’être un nouvel être humain.

en tout cas pour moi la Fête est le seul moyen d’aller par-delà ma crise.

« Ainsi donc, la Fête n’est pas seulement un excès, un gaspillage rituel des biens péniblement accumulés durant toute l’année : elle est aussi une révolte, une subite immersion dans l’informe, dans la vie à l’état pur. Par la Fête la société se libère des normes qu’elle s’est elle-même imposées. Elle se moque de ses dieux, de ses principes et de ses lois : elle se nie elle-même ».

c’est une belle façon de penser la Fête. et on y retrouve l’informe. sauf qu’ici on s’y jette de son plein gré. sauf qu’ici il est ouverture et non disparition. 

à méditer à la prochaine gueule de bois.

ceci pourrait être un poème sur la Fête même s’il était à l’origine un poème sur l’Amour. 

entre les deux quelle est la différence ? 

Octavio Paz dit : « c’est parce que nous n’osons pas ou que nous ne pouvons pas affronter notre être que nous avons besoin de la Fête ».

moi je le pense de l’Amour. 

entre les deux quelle est la différence ?

j’ai honte à chaque fois que j’y pense : j’ai fait mon deuil de sept ans d’histoire en collant un poème à partir d’un magazine porno. quelque chose ce jour-là en moi a lâché.


parenthèse : 

finalement qu’importe d’avoir un livre à mon nom quand j’éprouve si fort les effets dans ma vie de mon écriture. 

qu’est-ce que le reste à côté ? 

un désir bourgeois. 

fin de la parenthèse 

ce poème finissait par ces vers : 

« il est impossible d’assouvir le ciel 
quand il s’agit d’étoiles

merci à l’amour d’avoir été sans nous voir

je peux maintenant rentrer dans mon soir
avec dans mon sein 

la vérité d’un promis non-tenu ». 

je l’ai déjà cité dans une note ici mais il me hante toujours. 

en particulier ce soir. 

« j’ai besoin d’être réelle en dehors de tes mains ».

il disait ça aussi. 

quel est le degré de ma réalité aujourd’hui ? 

j’ai tellement changé depuis, pris mille ans en un an, pris mille fois un visage nouveau. 

pourtant le fil est toujours là. 

en particulier ce soir. 

ce même fil avec lequel ils te couperaient les mains à toi aussi. 

à ton avis : combien pèse une idée face à une maison ? 

à mon avis : si peu, si peu. 

comme mon incertitude le lilas fleurit sur un lever de pleine lune. 

il n’y a qu’une rupture que je n’ai pas digéré et elle est amicale.

combien pèse un ami face à un amour ? 

à mon avis : tellement, tellement. 

j’ai des images des fêtes mexicaines dont parle Octavio Paz, des masques, ceux qu’on porte la nuit et ceux qu’on porte le jour. 

je vous vois tous au milieu de ce bal de tous mes amours. 

je vois vos yeux, je vois les possibles perdus et ceux qui s’ouvrent radieux. 

je te vois toi, j’imagine tes yeux lisant ça et je me dis : aucun livre ne pourrait m’offrir le luxe de te raconter mes histoires comme ça.

je touche du doigt quelque chose. 

Anaïs Nin s’amusait parfois à laisser son journal ouvert. elle se plaisait à imaginer ses amants tomber sur des passages parlant d’autres qu’eux. 

je n’ai pas sa frivolité, ni son art du mensonge, ni même son goût du masque – en somme : pas sa cruauté. 

sa fête à elle m’aurait vite épuisée mais quand même je me demande parfois : es-tu sûr d’être toi ? 

je veux dire : quand tu lis tout ça, tu ne te dis pas : « dans son bal à la con et au milieu de ses citations bidons, quel est le moi qui est son toi ? » tu te dis ça ? ou il n’y aurait que moi pour me demander ça si j’étais ton toi ? pour me dire : « moi es-tu sûr d’être toi ? ». 

en tout cas ce soir j’ai au moins trouvé le poids d’un poème face à une maison : c’est le poids d’une question qui me sert à moi pour te dire à toi des choses que personne ne comprend – ni toi ni moi – et qui ne pourront jamais faire office de maison. 

heureusement je rencontre des gens qui construisent des maisons.

eux pourront faire quelque chose pour nous.

eux c’est toi. 

moi je fabrique de l’air qu’on peut presque attraper, autant dire : pas grand chose. 

ça c’est mon vrai métier.

ça c’est mon vrai visage. 

comment faire à deux quand l’instable est mon pas ? 

ça c’est mon poids à moi.

il pèse celui d’une question. 

*

est-ce qu’artiste c’est un métier ?

est-ce qu’artiste c’est un travail ?

est-ce qu’on passe toustes notre temps à nous épuiser à la construction de notre légitimité ? à revendiquer le seul droit d’exister ?

est-ce que chuchoter dans un micro des mots arrachés puis collés c’est de l’art ?

en tout cas ça ressemble pas ni à un métier ni à une maison.

*

« et toi tu fais quoi dans la vie ? » 

j’aurais dû répondre : « parasite sacré ». 

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